jeudi 28 juin 2012

Tout est mort ce 28 juin 2012*. Prison.


Dessins de René BOUSCHET (R&B).

Chère Marouska, 
                            ici, tout est mort, aussi, vous voudrez bien excuserez le papier. Suis en manque depuis samedi. Les enveloppes seront à chiner.

Aucun oiseau ne crie, dans cette Maison, sauf au matin. Puis ce seront les détenus. Mais pas les corbeaux. A chacun son tour. Mes Cévennes sont au loin. Ni arbre vivant, ni souche. Pas de forêt, encore moins de champignons. Pas de rivière ni de sources. Pas de chat, encore moins de chiens.Tout est mort. Même nous !

Tout est mort ? Non, une petite souris dans ma cellule bouffe mon armoire. Quelques temps plus tard, un con-con fini m'annonce triomphalement le zigouillage de notre petite amie qui ne faisait que préparer son nid pour de futurs souriceaux. La guillotine remise en prison. Par un cocon de détenu, bourreau de souris.
Tous les jours, vers 4 heures du matin elle nous réveillait, mais nous avait attendri.

La prison est absence de bruits en tendresse, de mots en affection, et de paroles en respect. Il en est ainsi de toutes les prisons ! Et pourtant, un seul endroit, l’infirmerie de Némausus en Gaule résiste.
-Monsieur ?
-Oui, Madame ? Comme c’est bon !

Aucun chant, puis bruits et fureur. Permanents. Sauf chez nos personnels médicaux... si ce n'est un petit, oh bien petit maton remplaçant à l’infirmerie, tête de boulon qui se protège derrière son bleu de travail de l’Administration pénitentiaire. Dehors, il raserait les murs.
-Mohammed, vient ici ! 
-Patrice, n'avancez pas !
Ce n’est qu’un aboyeur : un piano trois-quarts de gueule, quart de queue. Ou l'inverse ?

Ce gardien ne remplace pas le préposé en congés annuels, mais sévit à sa place. Paraît qu'il a des diplômes de Fac. Nous en avons froid dans le dos de la Faculté et aimerions connaître ses certificats d'indigence intellectuelle !
Assez parlé des cons qui ne comprennent pas que, pour être respecté... Et puis, dire :
-Monsieur, ça met de l’entregent et évite toute violence et insultes.

Notre bouffe est excellente (souligné dans le texte original !). Un mauvais point le 27 midi : salade verte, hamburgers, frittes (deux t ? Que nenni !), salade de fruits. Appétissant, surtout les frites, mais elles sentaient l’huile rance. Dommage. Et cette salade : dure et sèche. Comment font-ils ? Le font-ils exprès ? Ne savons, mais !

Notre quotidien est "semainial : lundi bibliothèque, mercredi draps à changer la quinzaine…
Il serait bon d’améliorer l’ordinaire du dimanche, le marquer pour en faire un jour important. C'est génial, non ? Bien sûr, il y a une part de gâteau sur-(sur)-gelé, des plats réchauffés, quand ils se peuvent, mais surtout des salades, et les salades qui traînent des heures, c'est comme les teen-âgés qui finissent par se durcir et faire des conneries. 

Et pas de douche le dimanche, ni d'activités, Dieu ne se lave pas le dimanche !

Imagine que tous les petits déjeuners sont : eau chaude sur chariot dans le couloir, poudre de café et lait plus une petite noisette de beurre. Pas de confiture, sauf dimanche et fériés. 
Noisette aussi, la confiture.

"I had a dream", oui ! J'avais rêvé que pour améliorer l’ordinaire, on nous servait du café, un bon café. A la chaussette. Avec de la chicorée, s’ils veulent. Même pas très bon. Mais du café, nom de Dieu ! Une odeur de café sur la prison !

Il flotte au vent, parfum café avec les drapeaux français et européens, notre caoua des grasses matinées. Oui ! Merveille des merveilles.
Comment va le chant, petite Marouska ? Faites-vous des récitals cet été ?

Encore merci pour votre gentillesse et bises,

                                                                      vôtre Gilles.

PS : Sommes incarcéré à mauvais droit, et n'avons pas honte d’être en prison pour deux gifles. Pour autre chose, ce serait du pareil au même. Et merde pour le roi de France et d'Angleterre !

Ndlr: cette lettre laisserait accroire que nous avons du bon café le dimanche. Non, quant au vin, la prison est en Ramadan perpétuel. Qu'on se le dise. (Autorisé: seul le hash cash).
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                                  LETTRE à ROLANDO LE 27-28 JUIN 2012. (Montre à Américo, Pierrot et Nono).

                                     Cher, cher ami, 
                                               merci pour ton mot. Je veux tout d’abord te rassurer. Ne sois pas triste. Tu me connais. Par contre, je ne me suis pas trompé : je t’avais dit que, menteuse comme elle est, elle me jetterait en prison.
Je n’ai besoin de rien, ici. On est logé, nourri, lavé à l’œil. Même la belette. Et on a des préservatifs. Je te jure. Pour  quoi faire ? Imagine.

Ici, il y a un vieux plus jeune que toi (82 ans) qu’ils maintiennent en taule. Faut croire que c’est Al-Qaïda. Ancien para, décoré, Indochine, sourd, diabète, problème grave aux yeux, le type qui a toujours dit :
-Oui, mon Capitaine ! 
Il n’a pas dû comprendre la question du juge et a dit :
 -Oui, Monsieur le Président ! 
En taule ! Il est comme toi, ou pire. Il ne sort jamais, se traîne pour aller à l'infirmerie. N’a plus de dents. On lui attribue une autre bouffe qu’aux autres, améliorée, certes… mais on arrive même à la lui voler, l'échanger !


En ce qui concerne Nono, interdit lui de toucher la bouteille. Un pastis, c'est tout. Qu’il sirote et participe à l’écot commun. Faute de quoi...
Les perspectives de libération anticipée, je n’y crois pas. Le substitut ne m’aime pas, le Proc va finir par me détester. Ce n’est pas de la justice. C’est de la vengeance. De la justice de petits bras.

Pour ce qui est de la Normandie, on ira avant tes 85 ans. Après, je t’amènerai à la Jonquera pour une petite pipe. N’en parle pas à tes gosses.

En ce qui concerne tes fautes d’orthographe, le cœur ne les compte jamais !

Si tu vois Pat, celle qui a les deux petits chiens, pour rigoler, dis-lui :
-Je suis inquiet. Je n’ai plus de nouvelles de Gilles. En auriez-vous, Madame…
Çà te fera rigoler. Et te consolera de la connerie humaine.
Et viva la muerte. Puisse cette lettre te rassurer sur mon pauvre sort.

PS : tu ne crois pas en Dieu, mais je crois que Dieu m’a envoyé en prison pour amener une lueur d’espoir, de bonté, d’intelligence et de grâce à mes amis détenus. En attendant, si tu veux te trouver une vieille à ton goût, suis les préceptes de ton gentil Gillou :
-Dimanche, sur ton Trente-et-un, va à la messe mater discrètement les culs. Surtout, ne sois pas trop vieille France. Pas trop de Madame-ci, Madame-çà, mes hommages…
En effet, comme on dit : trop poli pour être honnête !

Bisous, mon petit papa d’adoption, et fais gaffe à Nono pour le Pastis. Gilles.
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Séraphin a pris ses somnifères à 20h30 (au lieu de 16h30) pour suivre le match Espagne-Portugal. Je me suis longuement caressé pour essayer de me réaliser. Résultat NUL.
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De ma petite Maison d'Arrêts de Némausus, le 28 juin 2012. Merci, petit substitut. Et faites moi procès!

mercredi 27 juin 2012

9ème jour de grève de la faim!*


Illustration de René BOUSCHET (R&B).
 
Toujours Mercredi 27 juin. 

Ce jour, je suis faible. J’ai des difficultés à monter dans mon lit. Déjà le 9ème jour de grève de la faim.
Ici, l’ennui, l’inoccupation, le stress, la désespérance sont de coutume. Perdu en haute mer, balloté au gré du vent et de la houle, sans aucun cap, gouvernail et moteur hors-service, voile en lambeaux. Incapable de se repérer dans la nuit noire. 

S.O.S. Help ! Au secours !

Ai-je bon moral ? Enfin, je me plais à le croire. J’essaye d’être utile à mon compagnon. Je l’appelle Séraphin, ce Monsieur de la Mélancolie, un angelot qui déprime grave.
Dieu m’aurait-il placé ici pour faire œuvre utile ? Etre un rayon de soleil, tenter de faire bouger les immobilités, changer et humaniser les rapports entre gardiens et détenus ? Amener l’espoir ? Un l’exemple ?
Rêve pas trop, du gland.

Espoir, en pays de désespérance, le plus beau et de manière forcenée, opiniâtre jusqu’à ce que les barrières bougent, puis tombent. Ah, marquer le dimanche, pour marquer les semaines ! Le début d'un goût de liberté !

J’ai rêvé d’un bon vrai café pour marquer les dimanches. J’ai une stratégie qui fait bien rire Séraphin :
-Si tu y arrives, moi, je peux devenir Pape.

Donc, étant gréviste de la faim, il me suffirait d’écrire à Julie que je consentirais à boire un café très, très, mais alors là plus que sucré pour arrêter ma grève de la faim. Faisons confiance à la Censure. Qui ne tente rien n’a rien.
(Ndlr : il n’y aura pas de bon café. Hélas, même en prison la censure ne fait pas bien son boulot. C’est à désespérer de la Justice).

Dans notre environnement, seuls deux trafics : le ci-devant tabac) et le çà-derrière shit. Ces trafics ne posent pas problème. Seule, la dépendance des pauvres crée des difficultés : on ne prête qu’à ceux qui demandent. Mais, comme seuls les pauvres sont en manque, que l’intérêt est usuraire, beaucoup de pauvres tombent du lit et se font très mal. Mais, tomber n’éteint pas la dette.

Pour une cigarette de shit, il faut un paquet de Marlborough, la monnaie zonzonnaire. Pour un paquet de Marlborough emprunté, il faut rembourser trois paquets au moins. Et pour un tout petit morceau de shit, plusieurs paquets sont nécessaire. 
Comme je suis devenu goûteur de la marchandise qui me fait cracher et tousser longuement, je peux vous assurer que c’est vraiment de la super merde de merde qui arrive ici par colis. C’est fou !

Même les sachets de café se troquent : 40 sachets égalent un paquet de Marlborough.
Voilà pourquoi, les fumeurs de ci et de çà sont à la merci de gros cons, par-ci et par-là.
Je suggère, chaque fois aux fumeurs de profiter des conditions idéales offertes à tout un chacun par la prison pour arrêter de fumer. Qu’au moins, l’incarcération ait servi à quelque chose de bon.
-Oui, mais, je suis trop inquiet pour arrêter de fumer !
-Ben, continue, mon n’veu. Cours, Charlie, cours !

Je languis ma fille, ma chienne et mes amis. Mais, quelle est cette impression du devoir auprès de mes amis détenus, et puis l’écriture, quel plaisir de roi. J’ai l’impression de rayonner, et pourtant !
Je suis stressé à mort, sans m’en rendre compte. Je ne bande plus depuis lon-la, lon-lère.
Irai-je au bout de ma grève de la faim. J'ai faim ! Je n’ose demander à Dieu.

Ici, aucun oiseau en vue. Même pas les corbeaux de misère. Pas d’arbre, pas de fleur. Pas d’eau bruissant. Du béton et du barbelé. Pas n’importe lesquels. Du vrai, du solide, du piquant. Ce matin, les cours ont été balayées. Miracle!

Nos portes sont d’acier. Pas de la même forge que nos couverts. Du bon acier de guerre. Les clic-clac brutaux des loquets, quand les clefs pénètrent les serrures et forcent les pennes nous font sursauter.
-Que me veut-on encore ? Et vous ne savez pas. Et vous redoutez de connaître.

J’ai donné à l’ami américain sa lettre pour le Proc. Il me tiendra informé de sa date de rendez-vous.

Dans la cour, Mounir ne voulait pas parler à Pierre. Ce serait un pointeur. Je me suis insurgé :
-Je le connais de longue date. Sa femme, Fatma a été élevée avec moi. Elle est médisante, dangereuse, hystérique. Et sale.

Pierre a élevé admirablement ses enfants, sans l’aide de leur mère qui dormait toute la journée et les maintenait dans une crasse extrême. Pour ses enfants, il a arrêté l’héro et la coca. D’un coup. 
Celui qui dit que c’est un pointeur ? C’est un fils de rien. Moi, je témoigne que non. Non et non ! Il s’occupait de ses gosses à la place de sa feignasse de femme : tu le voyais dans la ville, seul, promenant ses enfants, faire les courses, les amener et rechercher à l’école. Jamais au bistrot. Il ne fréquentait plus Rodger la Mort, le dealer. Par contre, son ex-femme, voila quelqu’un à éviter.

-Et puis, mon ami Mounir, ici, personne n’est juge. Fais-moi confiance. Et Mounir, mon ami a compris mon explication.
Voilà pourquoi, Madame la Directrice, Madame le Commandant, Mes capitaines, voilà ce qui justifie ma grève de la faim.

-Au fait, Mounir, qui dit que c’est un pointeur ?
-Les matons !
-Mounir, tu es mon ami et tu sais que je ne te mentirai jamais.

Faudra bien qu’un jour quelqu’un règle, à la prison de Nîmes, cette affaire de discrétion professionnel. Et son pendant : à qui sert la calomnie ? Et pourquoi faire ?

Me suis encore promené avec René-Jean qui est tout seul. Quand nous marchons ensemble, il coupe délibérément le trajet pour ne pas approcher des groupes. Il ne passe pas à moins de 5 mètres.
-Non, René-Jean, tu ne coupes pas le trajet. Tu marches près des gens assis, autrement ils croiront que tu as peur d’eux et que tu es vraiment un pointeur.

Avec Mounir, nous avons parlé de Dieu et de mon impression que j’étais placé là pour être une lumière de bonté et d’amour à donner à tous ces pauvres oubliés des hommes.
Et de Dieu.

Ce jour, salade verte sèche, extra-sèche. Ultra-séche. Ils voudraient le faire exprès, ils n’y arriveraient pas. Ce jour encore, frites belles mais huile rancie, plus machin de Mac Donald (hamburger) et salade de fruit.

Hier, 13,9 de tension. Ce jour, 9,8. Ainsi va la vie.

Geôlière nîmoise.*

Illustration de René BOUSCHET (R&B).

Ma tant jolie geôlière, raide dingue de vous je suis, et vous le savez. Il n’est de jour et de soir où je n’espère vous, que vous ! 
A mon réveil de ce matin, point n’êtes venue. Eh bien, vous m’ouvrirez les verrous, demain, nous ne le savons que trop bien. Oh, vous de ma si douce attente !

Tous les jours, échevelé et livide au milieu des tempêtes... oh, pardon ! nu-pieds, pour vous mieux impressionner, moi, le prisonnier, moi qui ai une profonde aversion pour le sport, je ne cours que pour vous, vous si belle à mon cœur.

Ah, nous retirer de ce monde cruel qu’est la prison ! C’est votre monde, me dites-vous ? Je ne le vois que trop bien et en suis bien attristé pour tous deux !

Me permettrez-vous d’être votre Prince, vous emportant, vous, si belle dans le charme de votre livrée Bleu-France-Outre-mer, si tendre, gentille mâtonne ? Voyez : je nous rêve déjà !

Ah ! Nîmes. Et l’été à Nîmes, en prison. Et tomber en arrêt d’amour comme à vingt ans ! Que ne vous dois-je ? Et, mon Dieu, vous me gardez tant bien que je ne voudrais aucunement m’envoler loin de ces yeux, et vous porter préjudice aucun ! 
Mais, j’ai 67 ans d’un jour révolus… misère de misère !

J’avais mis mon adresse en tête, le sera-t-elle toujours en la vôtre si belle ? Et, comme j’espère tant de vous, gente dame, ma dame de coeur. 
Au début, à ma sortie que j’entrevois pour le 14 juillet, vous me rejoindrez par bals et flonflons. Nous valserons tant et tant que la tête nous tournera comme après quelque bon vieux vin de France, terre des Arts, des Armes et des Lois !

Ah, les lois ! Sachez que, tous les midis du monde, je vous attendrai sur la place de l’église de mon village, là-bas au val d’Alisiers, au Liredondais, guettant, avec Anne, ma sœur Anne, le poudroiement de la route. Je vous chercherai des yeux, et vous m’appellerez, je le sais. Vous le savez, n’est-il pas ? Puis me direz tout simplement, tout doucettement :

- C’est moi ! Et nous saurons que le bonheur est si simple ! Mon Dieu, que j’aime le bonheur ! Et que je vous aime déjà ! Oh, tendre, si tendre à mon cœur.

Je vous imagine… eh, me direz-vous la nuance ambre-doré de vos yeux ? J’aurais aimé les mirer à la lumière du jour, comme ces œufs que j’aime tant mais, en détention, nos couloirs sont si sombres ! Et puis, vous êtes si timide, si gardienne.
Oh, vous baissez encore les yeux ! Dieu, que vous êtes belle !

Madame, gardienne de mes jours et de mes nuits, il nous faudra bien mettre un nom sur nôtre rêve joli. Votre prénom, je le sais, lui irait à ravir. Me le direz-vous un jour ? J’ose l’imaginer : il est Amour, sans nul doute ! 

Savez-vous, Ma Dame et belle geôlière que vous m’allez bien au teint ? Je vous imagine déjà, à mon bras, passant à la sortie de l’Eglise de mon village, là bas au Val d’Alisiers sous les bâtons des mâtons de la Prison de Nîmes. 
   
Oh! de mon rêve, ma jolie !

Gilles, Matricule 22352 de la 110° Cie, l’Embastillé de Nîmes. An de grâce 2012, le 27 juin.

mardi 26 juin 2012

Quart de queue du 26 juin.*



 Illustration de René BOUSCHET (R&B).

26 juin. Chouette !  mon anniversaire à Nîmes.
J'ai 67 ans ! Ouha ! en prison. Et toujours en grève de la faim.  Gargantua apprécie ! 

Gérard a été transféré vers 8h15. Destination inconnue. Pour 4 mois ou un peu plus. Sa femme malade est à Nîmes et n’a pas le permis. Gérard est fan de dessins animés. Vous l’ai-je déjà dit ? C’est bien possible, si vous le dites.

J’ai voulu aider  Gérard à plier draps et couvertures. Il a refusé. 
-Ici, t’as intérêt à te démerder seul, faute de quoi tu tombes vite sur les ennuis. C’est comme dans la vie. 
Il stressait, reniflait en permanence et s'inquiétait de sa nouvelle taule. Il nous écrira. Sans nul doute. Certain. En fait, il n'écrira jamais. Nous ne sommes plus que deux en cellule. 

Mon compagnon d’infortune, Séraphin, est sympathique. Il a pris 5 ans, en a déjà effectué une année. Enlevé un an de remise de peine, il lui resterait 3 ans à faire. Sera sans doute transféré. Signe particulier : ne déjeune pas… Comme c’est intéressant ! Tout pour moi.
Je collectionne les sachets de lait, de café et de sucre. Par contre le vilain aime les desserts... Comme c'est dommage ! 

Lundi 25 au soir, 21 heures, j’ai écrit, sur un emballage de dentifrice, un message glissé sous ma porte : 

Mesdames et Messieurs les gardiens, le 26 juin (demain ou aujourd’hui), c’est mon anniversaire. 67 ans déjà ! J’aurais aimé vous offrir un pot mais je ne puis. En effet, je me trouve actuellement incarcéré. Si je ne faisais pas la grève de la faim, j’aurais aimé partager un gâteau de fête avec vous.
                     Amitiés, Gilles PATRICE. 

Ce matin, le 26 juin, le gardien de nuit qui a relevé mon compteur (le billet glissé sous la porte, quoi) m’a souhaité un bon anniversaire. 
Depuis lundi, changement de cour de promenade. Plus grande, elle mesure 40m sur 35 au lieu de 20 par 35 mètres. Tous mes collègues crapules m’ont souhaité bon anniversaire. 

En remontant de promenade, les gardiens alignés dans le couloir ont chanté «Happy birthday to you, Mister PATRICE».  Puis, le chef m'a serré la main et dit :
-Monsieur PATRICE, joyeux anniversaire ! Chaud au cœur. Et quelle joie pour nous, les détenus. Et pour les gardiens. Quand la vie renait, l’espoir… 
Merde. Je suis heureux en prison. 

Ce midi, la bouffe sent bon. Le surveillant a demandé de mieux me servir pour mon anniversaire. Mais il ne savait pas que je ne mangeais plus depuis une semaine, les consignes ne passant pas bien entre gardiens. C'est un problème, en prison. 
(Ndlr : et ce gardien n'avait pas bien lu le message d'anniversaire de Gilou !). 

Tout passe aux chiottes, le Gargantua, sauf le dessert pour Gaby. Et le café, le lait et le beurre pour ma pomme après que j’aurai arrêté mes conneries. Parce qu'une grève de la faim, c'est une belle connerie. Je pèse 61kg. J'ai perdu 6kg en une semaine.
Ma glycémie n’est pas trop mauvaise.

PS : Toujours pas de courrier. Serait-ce l'effet "petit substitut d'Alès" qui me porte en son cœur ? 
Pour le papier à lettre, faudra écrire à la Directrice.
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LETTRE à Madame la Directrice de la M-A, ce jour. 

Madame la directrice, je suis actuellement indigent car je n’arrive pas à joindre ma fille. Et le SPIP, depuis 7 jours, est incapable d’aller sur Face-book, ou à la vêture-fouille consulter mon portable. Donc, je suis démuni.

Vous n’êtes pas sans savoir que j’aime l’écriture qui est mon anti-stress. Plus de papier à lettre et d’enveloppes. Voyez, je n’ai pas pu cacheter la présente.

MA REQUETE: avoir du papier à lettre et des enveloppes (et aussi presser le SPIP). Comme c’est mon anniversaire, ce jour j’ai 67 ans, les gardiens me l’ont souhaité ce matin (Ndlr : Gilou serait-il un faillot ?), vous serait-il possible de contacter le Procureur de la République pour faire libérer le détenu de la cellule XXX qui, ancien serviteur de l’état, 82 ans, (parachutiste, Indochine) devrait mériter de la France, de la patrie une reconnaissance éternelle ? 
Le seul placement pour lui serait une maison de retraite.

Vu son état de santé (diabète important, problème grave aux yeux, surdité, sénilité, sans dents et j’en passe), cet ancien soldat de la France, blessé, décoré, serait incapable de porter atteinte à la moindre aide-soignante d’une maison de retraite qui sera bien capable de se défendre seule contre ce vieux monsieur impotent.

En vous remerciant de me faire ce plaisir pour mon anniversaire, recevez, Madame la Directrice, mes salutations très sincères, Gilles P. 
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Ndlr : N’aurons eu aucune nouvelle de mon cadeau d’anniversaire avant septembre (on apprend que le vieux sergent du Corps expéditionnaire d’Indochine sera libéré le 6 novembre 2012).
Par contre, l’argent des indigents nous sera débloqué rapidement. Merci, Madame la Directrice. 
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Ce mardi-midi, nous avons eu de l’œuf. Ce soir, ce sera de l’Edam. 

A la promenade, une jeune blonde nous observe lorsque nous descendons dans la cour. Ce serait la sous-directrice. Un peu jeune pour son grade. Lieutenant-colonel ? Ne savons, mais... pas mal de sa personne, sauf le respect que je vous dois, Madame, et très entourée. 

Beaucoup de gardiens aussi, (pas tirables, mais nombreux, quoi !) à surveiller* cette jolie petite blonde et tous ces surveillants, quoi. Et puis moi, j'aime les nanas en uniforme. Qu'on se le dise. 
*Ndlr : les détenus surveillent aussi les surveillants. 

Les cours A et B sont tant jonchées de débris que cela en devient une honte. Merci mon Capitaine !
L’après-midi, tour à l’infirmerie. Vu une doctoresse qui m’a donné les résultats d’analyses. Hépatites, VIH, siphyllis : négatifs. 
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         Oyez! Oyez! braves dames... qu'on se le dise ! 

Entendu à l'infirmerie : 
-Les chlamydias, c’est dangereux pour les jeunes femmes (Ndlr : risque de stérilité). Mais, on ne fait pas ce test aux hommes âgés. 
-Docteur, j’ai des relations avec de jeunes femmes ! 
-Nous verrons plus tard. Quelles sont vos habitudes sexuelles, hétéro, homo ? Consommez-vous des drogues ?  
-Ben, je suis normal ! 
-Comme tout le monde Monsieur Patrice. Comme tout le monde ! Mais vos habitudes…  
-Hétéro, protégé quand j’ai le temps de me préparer. Et pas de drogue. 

Vu le plus âgé des médecins, celui a qui j’ai annoncé mon anniversaire. On me dirige vers une infirmière, belle blonde. Piqué au doigt. Taux de sucre en augmentation. 
-Normal, puisque vous prenez des boissons sucrées. -Pardon, qui vous a dit çà ? Je ne prends que de l’eau. Même pas de café.
A la pesée, j’ai perdu deux kilo depuis hier. Je revois le docteur et lui parle de ma grosseur au sein. Il me demande d’attendre une semaine. Mais, je suis inquiet. 
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Hier, pour me faire chier, Monsieur Le Gland Surveillant m’a laissé une demi-heure sous un vasistas en plein cagnard. Putain de chaleur. Pour me punir ? 
En fait, il s’avèrera plus tard que c’est normal : au moment des promenades, toutes les grilles sont bloquées automatiquement. 
Merde, tu fibrilles à ce moment, je me dis, et crac… passé, le Gillou, et le défibrillateur est coincé à 100 mètres de toi. 

Tout est inutile en prison. C'est ainsi. C'est pour faire plaisir à Strasbourg, comme ils disent à Bruxelles, ce défibrillateur, et voilà le pourquoi, de la flottaison au vent nîmois du drapeau européen au frontispice de la prison, avec son complice, le drapeau français.
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Pour Roger, notre vieux sergent para de 82 ans, j’ai oublié de dire que la sanction pénale n’est ni dissuasive, ni répressive, ni éducative : pépé est vieux. Sanction inappropriée. Vous me direz : et les victimes ? Je vous dirai : et les victimes !

Et la solution serait : pas de solution pour Roger et les victimes. La Justice, c'est souvent : pas de solution ! Ni pour Pierre, ni pour Jacques.
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Toujours le 26 juin. Aucune nouvelle de ma fille. Le proc doit bloquer le courrier. J’ai des difficultés à déglutir avec un chat dans la gorge qui ne veut pas remonter à l’arbre. J’ai l’impression d’avoir des chaussettes de contention du cou de pied aux chevilles.

Séraphin est en pleine déprime. Ses parents sont retournés en Espagne, ses deux frères et une sœur sont dans la région. Il vit un divorce douloureux. Il téléphone à son fils tous les samedis.

A 16h3O, environ, Séraphin  prend des somnifères et commence sa nuit vers 18h30. Jusqu'au lendemain 6h30. Il ne va jamais en promenade.

Ce midi, à la distribution des repas, ai vu le Vieux Sergent qu’on garde en prison. C’est une honte. Je lui ai tendu la main. Je lui ai dit que j’écrivais pour lui. Il était content, mais,
-Tu sais, petit, quand les juges te tiennent, ils ne te lâchent plus. Merci quand même ! 
                                        ___________
Tout mon courrier est envoyé enveloppe ouverte. Surtout le courrier officiel. On sait tout ce que j'écris aux Procureurs, au substitut. Au moins, les gardiens du "Greffe" de la Prison peuvent se consoler ou rigoler avec mes conneries. Et comme mes courriers sont souvent irrespectueux (le respect étant une denrée réciproque), voilà pourquoi ils sont toujours envoyés ouverts. 

J’ai écrit au SPIP. Pas de réponse aux demandes. Ce jour, elle me fait parvenir un mot écrit en caractères hyper-gros, visible à 15 mètres :  
        Votre référent SPIP est Madame X,
comme si je ne le savais pas. Elle n’a rien fait, à part de me dire qu’elle n’arrivait pas à joindre ma fille. Ben, la belle affaire. L’avait pas besoin de me le dire. Le savais déjà. 
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A la dernière récré de l’après-midi, j’ai fait une partie de dames avec Pierrot. Comme de bien entendu, j’ai gagné. Je suis très fort à ce jeu. Demain, on passe à la belote. Ce sera du pareil au même.  

J’ai marché encore avec un pointeur en promenade. C’est un pestiféré, un intouchable. Tous l’évitent, personne ne lui parle. Et puis, il ne sent pas bon, ce qui n’arrange pas les choses. Et ses dents ! Avec d'autres camarades on essaie de lui faire comprendre qu'il doit se laver.
La directrice dit que les surveillants ont une semaine pour consigner les grèves (de la faim) ! Etrange.
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Ce même 26 juin à propos de la location des frigo (plus 8,50 euro pour télévision) par personne non-indigente, 5 euros, trois dans une cellule, cela fait entre 0 euros à 60 euros par mois. Putain, les couilles en or , les couilles en or (veuillez excuser mon langage emprisonné). 
Et c’est une société privée qui touche le pactole ! D’accord, y a des films de cul de Canal plus. Pour soigner les pointeurs, fallait y penser.

Frigo = 5 euros x 3 détenus x 4 semaines = 60 euros/mois. S'il y a un indigent dans la cellule, cela fait 40 euros/mois. Plus la télé = 57 euros !
Et impossible de cantiner sans frigo. (Chiffres rectifiés le 11 avril. Excusez de l'erreur). 

Et sans télé, obligés de meubler les silences de la cellule. Sans la télé, c’est l’enfer : il faut rompre le silence. Mais parler de quoi ? Avec la Télé, c’est aussi l’enfer : personne ne peut parler. Donc, tu es toujours dans l’enfer. 

PS: que celui qui veut me faire procès le fasse... bien le bonjour, Messieurs !