vendredi 20 juillet 2012

1er du Ramadan*!


Illustrations de René BOUSCHET (R&B).
 
Samedi 20 juillet. 23h30 on a eu droit à la prière du muezzin lancée par une sono du 3ème étage, mais pas de bruit ambiant.

Ce matin, à la récré, beaucoup d’oiseaux de merde du 3ème. Mais peu bruyants. Toujours les interpellations cour-fenêtres :
-Oh Alexeueu… Ouais, ouais… Mohammedeueueueu…
J’ai donné ma lettre au surveillant pour Olivier. 
Pas de courrier à la relève de 13 heures.

Notre Maison d’Arrêts n’est qu’un lieu de transit. Une insécurité programmée. Faut demander pour tout. Séraphin a mis la sonnette et tapé pour le surveillant qui a ouvert. Il doit téléphoner à heures fixe à son fils. La dernière fois, le surveillant l’avait oublié. Mais s’était excusé.

La MA nous insécurise. Nous sommes condamnés. Séraphin aurait dû être envoyé en CD. Il attend depuis 8 mois. N’a toujours pas défait son bagage. Faut le faire. Et il l’a fait ! 
Il croit dur comme fer que s’il le défait, s’il range ses affaires dans l’armoire, cela lui portera malchance et qu’il sera transféré.

J’ai appris à Séraphin à faire de réussites. Je lui conseille, lorsqu’il écrit à son fils de se concentrer uniquement sur lui, de ne pas tenter de laisser de message à son ex-femme. Elle a des raisons d’être en colère : montre que tu aimes ton fils, son fils. Uniquement.

-C’est impressionnant comme elle a vite fait de me remplacer…
Eh, oui, mon petit père, that’s life ! Ce sont les hommes qui se suicident, pas les femmes, voilà pourquoi, suicidaires, ils aiment la guerre pour dominer leur peur de la mort, abandonnant femme et enfants, en tueurs-exorcistes, sans vergogne. Les femmes sont plus résistantes et s’arque-boutent à la vie contre vent et marées.

Ce midi, frites froides qui n’arrivent pas à glisser dans mon œsophage car je mâche peu (bridge cassé), viande hachée, raisin noir.
Les vieux font du sport le matin.
-Patrice, vous êtes inscrit…
-Non, Monsieur, il y a trop de vieux !

Une fois par semaine, infirmerie pour contrôler notre poids, tension plus notre pouls.
On nous place dans le petit cagibi d’attente (le 2), climatisé. Dans le 1, l’après-midi, il y a les nanas détenues. Belles, baisables, jeunes. Pas vu beaucoup d’arabes. Souriantes. De petits canons. De ces culs de rêve. J’imagine la Mariah-Fernande en taule. Et son gros cal.

En parlant de cul avec mon voisin, je bouffe des pruneaux d’Agen secs. C’est bon. Dire que c’est de la merde en puissance ! Dieu, par sa grande biodégradabilité nous permettrait de ne pas mourir dans nos déjections.

Ce matin, dans la Grand’Cour, j’ai fait 20 tours avec les souliers, cette fois. J’ai les pieds abrasés.
Cet après-midi (2ème récré). Petite cour. 30 tours.
Bernard, deux estafilades au poignet, un découpage de la gorge au cutter. Suicidaire, n’a pas de fringues de rechange. Demain, je lui donnerai mon jogging gris de l’Administration, deux slips et deux tee-shirts et une chemise bleue. Son copain m’a demandé une lettre au Proc général pour son appel.

A 8 heures puis, à 9h45 et durant quelques minutes, on a eu droit au muezzin. Une demi-heure de Ramadan pour tous.

Dimanche 21 juillet 2012. Réveillé à 4 heures. Un type (107 ou 106) tape dur :
-Pharmacie ! Pharmacie !
Puis une autre cellule a tapé plus fort encore. Rayan de la cellule contigüe ronfle toujours en avion de chasse.

Deuxième récré du matin. 30 tours dans la petite cour. Seul encore à courir. Les animaux m’ont quand même envoyé des bombes à eau. J’ai donné le linge à Bernard N°1, plus une grande serviette de toilette.
Après-midi, première promenade. Des colis de viande hallal sont envoyés par-dessus le mur. Un collègue de notre cour les re-balance aux animaux destinataires. Trois gardiens sont venus chercher l’impétrant pour lui faire sa fête. Je l’avais prévenu dimanche dernier.

Les animaux, nombreux, sont plus calmes. Le petit enc-ulé m’évite. Ce soir, nous ous sommes en camping : chips et taboulé, plus dinde froide. Dessert : crème de yaourt.
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Réponse à Françoise, lundi 23 juillet.

Salut Françoise et salut mes Cévennes. Merci pour ton mot. Je l’ai reçu ce jour à 13 heures. Dans ma Bastille, c’est pas trop mal. Paraît que les Maisons d’Arrêt sont le pire du système pénitentiaire.
Franchement, les gardiens sont assez top. Faut le reconnaître. Bien sûr, il y a toujours des c.. Pas dans l’étage.
La bouffe, ils font avec les moyens du bord, à savoir des crédits pas au top. Mais ça va. Même bien. C’est vrai. Tu me connais : de l’humour, j’en ai mais j’aime pas mentir.

Beaucoup de musulmans. Près des ¾. Souvent, j’ai l’impression qu’ils ne savent faire que du muscle. De beaux princes.
Individuellement, ils sont en général bien. Avec le Ramadan, ils sont moins grossiers, plus relax. Mais ça ne durera qu’un temps.

Ici, c’est zone de non-droit au niveau de la Justice. La plupart ne connaissent pas les charges retenues contre eux.
La Justice fonctionne ainsi : 1ère instance du TGI = condamnation pour tous à la prison ferme. Tu n’es pas présent à l’audience ? Mandat d’amener. Tu fais Appel ? Mandat d’Arrêt, prison.
Appel dans la prison égale : tu ne peux pas assurer ta défense. Voilà pourquoi les vieux briscards refusent de faire appel. C’est la honte, la Justice française.

Comme tu as déjà fait quelques mois de taule, l’Appel te remet une couche de prison en plus.
Quant aux avocats d’office, vaut mieux pas en avoir.
Autrement, demain 8h30, je serai au Tribunal à la Cour d’Appel sans mes documents. On verra bien. 

Voilà l’organisation judiciaire idéale.

Je t’embrasse. Bisou aux amis.

PS: Il est 6h45 ce 24/07. C’est le Grand Cirque qui va commencer, la Comédie Humaine. Chacun son rôle, son mensonge, sa vérité. Dieu triera. Bisous aux Cévennes. Gilles.

Penseries du 20 juillet.*


J’ai toujours aimé l’ombre.

Mon nom berbère signifierait l’ombre. Depuis ma tendre enfance, je n’ai jamais fait confiance au soleil, tout comme ma mère qui s’émerveillait de la laiteur de sa peau et de la blancheur de la mienne, Fatima madame ma mère si tendre !

 

La montagne kabyle, à 800m d’altitude. Deux mois de neige en hiver, de la glace puis de la boue. Enfin, un soleil à vous tanner la peau avant l’heure, à la rétrécir, l’écorner. Et des ânes riant au soleil avec leurs grandes dents plates : han ! hi-han ! Bien bandants…

 

Je ne ferai rien de bon de ma vie, je l'ai su tout petit, même si ma mère, Fatima, me regardais en silence, les yeux tout embués de cet amour que les femmes me porteront plus tard, sachant qu’elles, aussi, ne feraient rien de bon de moi. Mais, je savais que je me reposerai sur elles en permanence, oisif, contemplatif, poète, songeur creux impénitent.

 

Ma mère me contemplait amoureusement quand je faisais mes devoirs le soir, et moi, tout petit, à 6-7 ans, j'étais le roi, son soleil à elle qui ne savait pas écrire, qui ne le saura jamais et qui aimait tant l’instruction.

 

Un incapable, j'étais. Et puis, après tout, Yakouren ne signifiait-il pas "les in-fruits" ?

 

Envie de rien. Ma vie s’écoulait tranquille comme dans un sablier. Fallait juste le retourner à l’occasion. Un seul besoin irrépressible : lire, apprendre, étudier, connaître, savoir, découvrir, réfléchir à tout et à rien, une barre soucieuse au front, regard perdu, ailleurs, rêvassant dans un grand vide, me complaisant en songeries irréelles, irréalistes, irréalisables. 

 

Ma vie fut peu productive, si ce n’est en penseries futiles, inutiles, à l’image de mon petit village de montagne des in-fruits. Quand je vois Pierrot et ses réalisations, et Américo ? J’ai honte de moi.

 

Et lorsque l’on ne fait que penser, dans le vide, sans mémoire, sans perspectives d’avenir, sans parole à donner et à recevoir, à partager, on s'amuït et sa vie n’a plus aucune espèce d’importance et rien de ce qui m'arrivait ne me touchait, ne m'importait.

 

Alors, plus rien n’existe, tout est sans morale, sans saveur. Mort. L’inconsistant se veut seul de mise.

 

La vie aurait dû se mettre en perspective vers tout ce qui a été, vient et deviendra. J’étais immature, immatériel. Je le suis demeuré. Je ne suis rien.... Mon ombre devait-elle passer quelques temps à l’ombre?

 

Texte improbable. A Françoise du lac.

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Le 20 juillet 2012. Comme en garde à vue à la Gendarmeriedu Vigan, aucune évacuation haute et basse, l’air stagne,aucun courant d’air dans ma cellule de la Maison d'Arrêt.Quand le temps est chaud et humide, impossible de se rafraichir. La sueur ne s’évacue pas. Il faut marcher de long en large pour sentir un peu de fraîcheur, brasser de l’air, du vent.

Mais, marcher en large dans une cellule, c'est franchement impossible !
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Samedi 21/7/12. Ce jour, pas de douche, car pas de parloir. Récré 8h15-9h45. J’apprends que mon pote des arrivants, Olivier est notre gréviste de la faim.
Ça me fait chaud au cœur.
J’ai fait 20 tours dans la Grand’Cour. Akim me dit de courir moins vite. La course est mon Viagra (Ndlr: même le Viagra serait inefficace !).
Les oiseaux de malheur du 3ème, peu nombreux, ont jeté quelques bombes d'eau.