dimanche 16 septembre 2012

Cher Mouloud.*


Illustrations de René BOUSCHET (R&B).
 
Dim.16 SEPT. En-nîmé, je suis. 32 jours au jus.
Bonjour Claire, et bienvenue au Vigan, cher Mouloud,

                    ici, on ne fait rien, certains étant même payés à ne rien foutre. En Zonzon, on fabrique des fainéants. Professionnels.
Toutes les cellules (on doit dire : les résidences) sont triplées. Nous sommes 74 "élèves" par étage dans ce "pensionnat" de quatre étages, plus une quinzaine de nanas détenues.
Dans le Guinness des records français, notre taule de la capitale du Gard occupe la 2ème place des plus surpeuplées au niveau national. Tu me diras : 
-On s’en fout. 
OK! OK. Mais, sache que procs, juges et bêtise, couplés à la misère humaine et à la folie s’ingénient à remplir les prisons.

A quoi sert la Zonzon ? A vider la rue de sa racaille et, par transmutation alchimique, dont nos législateurs ont le secret, on transforme cette masse de délinquants en clochards. Tu me diras :

-Rachid, tu te fous de moi. Tu fais insulte à mon intelligence. Comment peux-tu croire que la Justice a en vue de clochardiser les délinquants ? Et, pour quoi faire ? Explique-toi, l’arbi !

A part de faire caguer les passants et de s’entre-tuer après s’être "ivrougnés" à mort, à quoi sert un clodo ? A te montrer l’exemple à ne pas suivre !

Que peut faire un clodo, et que revendique t’il ? Qu'u’une bouteille de rouge. Il n’est jamais délinquant, jamais car il n’est pas dé-localisable, étant à la « MERCY » de son entourage pour survivre. 
On le fiche et on le déplace à loisir. Il ne gêne pas la société, ne réclame aucun secours, si ce n’est une pièce. De HLM ? Non, de monnaie.

On fout donc en taule des gens intégrés, on les désintègre, on ne leur promet plus de protéger leur petit chez-soi, et basta.

-A la rue, connard. C’est la triple peine, Mouloud. Mais, tu me diras, justement :
-Mais, on s'en contrefout. 

Bon. Mon sergent, Raymond a toujours 82 ans. Il sort le 6 novembre. J’avais écrit à la Directrice de la Maison d’Arrêt pour qu’elle interpelle le Proc. Moi, je ne pouvais pas, étant en délicatesse avec lui. 

J'ai aussi demandé au Commandant de Gendarmerie du Vigan et au Responsable des Anciens combattants d'intervenir en espèrant que tous l’auront fait, ce qui nous permettrait de toujours croire en la bonté humaine. 

Enfin, j'espère qu’ils l’auront fait... pour eux.

On dit qu’un type qui entre en Zonzon devient plus que ce qu’il était dans le civil : plus con, plus méchant ou plus gentil. Mais pas plus, et j’y tiens et je le revendique, ce statut de gentil !

Donc, ce vieux sergent à un diabète important, des problèmes dentaires, de vue, ne sort jamais. Il avait fait l’Indo, décoré et tout. Merci la France ! Je suis content pour lui. Et pour moi !

Je connais quelqu’un qui était à Djibouti. Au service perso de Sarko. Tu as entendu parler du Juge BOREAL ? Non ? Renseigne-toi.


Aujourd’hui, on est dimanche. Pas de douche et j’y ai oublié mon savon hier. C’est une catastrophe. Mais, j’ai de la savonnette de dotation qui sent la merde. Véridique. Pardon : la merde ne sent pas. Elle pue ! La savonnette aussi !


Nous sommes là, à trois dans la cellule. Mon copain du 3° RPIMa est sur le lit du haut, à lire. Mon deuxième "pote" est assis sur son lit en guise de chaise, attablé à faire des mots fléchés, moi, j’écris (n’est-ce pas). Assis par terre. 

Mais, non ! On écoute la TV avec une émission sur les avions de 14-18 (non, on ne regarde pas. Tu ne me lis pas, mon vieux Mouloud).

A 10h, j’ai promenade jusqu’à 11h15. Pas de douche le dimanche, pas de culte non plus. Le 5 septembre, j’étais à la messe avec des copains blancs. Pas d’arabe, ni de noir, moi, seul en petit-gris. Merde, y avait pas les détenues nanas. Merde de merde. Moi qui croyais !

Je sors le 17 ou 18 octobre. Le temps se fait long. M’enfin, faut ce qu’il faut. Quand tu sais que certains entrent en zonzon pour 15 jours, pour deux ans, pour une gifle. Nom de Dieu. Qu'on me pardonne !

Bisous à toi Claire et à ton homme.


PS: quand je vois les prévenus dangereux sortir de zonzon (l’un avec des armes de guerre et des grenades, l’autre qui a foncé sur les flics avec une hachette et à blessé un gendarme à la cuisse) et que moi, le substitut m’a placé en détention pour cause d’écrits :

-Vos lettres montrent que vous êtes dangereux ! Ma stance à Fernande... à mourir de rire !
J'en bande encore de plaisir contenu !                                                               ________________

2° promenade du matin. Le Poisson rouge continue ses insultes. Je cours dans la cour B. Le tabac recommence à manquer. Après-midi, l’enc-ulé m’insulte toujours. Les cours sont sales, ce soir. 

Robien pète les plombs. Depuis trois jours, il agresse Jérémie et Bruce, faisant le chimpanzé pour les impressionner. Il a eu une piqûre-retard qui ne gère pas sa folie.
Paul (yeux et démarche inquiétants) me dit :
-Montre ton papier pour voir si tu n’es pas un pointeur.
Faudra que je lui dise que montrer un papier ne veut rien dire et que mon problème n’est pas le sien.

Sal…ah était de sortie. Toujours aussi con. Solitaire. Sa…ïd enc-ulé de chevrier. On remarque beaucoup d’arrivants. Un Gars a dû enlever son chapelet pour passer le portique de détection.

 
La pie s’est montrée ce soir. Quel plaisir !
Paraîtrait que les ricains ont insulté le Prophète. Ici, ce sont les musulmans qui insultent Brassens. Brassens, c’est moi. La connerie au 3° étage est grave

Ai prêté mon bouquin de cul, (cantiné pour Domi), à un gardien (qui se le lit dans sa guérite). J’avais promis ce machin à Akim. 
Dédé est venu me dire que c’était OK. Bon. C’est le  seul périodique de cette eau qui entre dans la poche jambière de son uniforme. Le seul. (
Ndlr : le gardien n’a pu rendre le bouquin cochon. Il se l’est fait tirer par un de ses collègues. A qui se fier ? Akim aura été puni. C’est toujours la double peine en prison !
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LETTRE à Anne-Marie Lundi 17 sept. Plaisir. Taulard, io sono. 30 au jus.
                               Bisous et bonjour, Madame Anne-Marie. Comme je m’ennuie "ferme", je me suis dit "in petto" :
-Qui pourrait-on exciter ? 
Bon : j’ai énervé Carine et Américo, Pierre et Carmen, Claude et Claire, Julie... Ben, (Ben, c’est un prénom), Joël, Christian, Pascaline, Françoise et Jacques, l’autre Françoise. Ne reste donc que MABELLE !
Nouvelles de prison. Un collègue à cueilli une rose, dans l’enceinte de la prison, une jolie rose rose-pâle et du raisin blanc, tous les deux frais cueillis !
Mise dans de l’eau sucrée, elle tient la forme (le raisin moins, il a été bouffé) : 15 jours d'épanouissement ! Epoustouflant !

J’ai donc, dès mon retour au bercail voté une loi irrévocable : tous les jours je mettrai mes petits petons dans de l’eau sucrée, à mariner. 
Sachant que l’eau sucrée (ou salée) ne croupit pas, imagine les économies d’eau de bain de pieds réalisées, le tout pour vous rester épanoui le plus longtemps possible. C’est mon cadeau. 
Ne me remercie pas. C’est naturel.
Ici, les deux pies et un hochequeue nous visitent tous les soirs. Autre nouvelle ? RAS, d’autres diraient RAB (intraduisible en langage poli !).
Toujours pas de clefs dans nos poches : les couteaux ne coupent pas (nous sommes revenus à l’âge du cuivre nickelé), les fourchettes piquent mollement au risque de se tordre, et les repas sont froids…
Ce qui manque le plus ? Un bon noir en lisant son journal au Café des Cévennes, au matin, tout en faisant un Sodoku, avec Noémie à ses pieds !

Quant au reste, à par les amis, les guitares, le chant et la musique, les randonnées, les sorties en voiture, l’ordinateur, l’écriture, les oiseaux, la mer, la montagne, les soirées et les matinées calmes, la rivière et la course sur son chemin, les puces, le bricolage, la photo, les expos, la bière à la terrasse du bistrot, le pastis chez Rolando, les voyages en Normandie, le scrabble chez Madame MABELLE, la bière chez Claude…

 
A part tout cela ? Rien ne manque, rien n’importe. Voila pourquoi je dis :
-On peut se passer de tout, sauf d’un bon café au réveil…
Alors, vois-tu, rien ne me manque.
Je me dis : en prison, tu dois avoir une vie intérieure très riche, faute de quoi tu deviens vite miséreux. Pas malheureux mais miséreux. C’est un état physique et non psychique, à tout le moins, au début, la misère.

Je me dis qu'avec toute cette richesse intérieure qui me permet de me passer des "biens" matériels :

-Mais, à l’extérieur, tu t’emmerderas. 
Je fais même du scrabble tous les midis. Je suis toujours dernier, sauf hier : 2° sur 3, mais je progresse. Il m’est même arrivé d’écrire le mot aridité avec deux R. Cela me titillait mais j’ai mis du temps à percuter. C’est le 2° copain qui l’a relevé. Deux R, faut le faire.
Ce jour, j’ai commencé à trier mes papiers. Il faudra bien que je prépare ma sortie pour le 17 octobre. La santé est bonne, Madame. J’espère sortir mieux que je ne suis entré, quoique cela sera difficile, tant je suis extraordinaire, n’est-il pas, my dear Mary-Ann ?
Espérant t’avoir bien cassé les pieds, je vous prie de recevoir, Madame, mes  salutations les plus respectueuses,         GilPAT.
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Le 17 sept. 12. 
Bonjour, Julie. Salut Franck. Quelques nouvelles fraîches de la zonzon. 
Ce lundi, concert avec le groupe de CHICO à 14h30. Ai demandé à y assister. N’ai pas encore été agréé.  
Ce sera comme pour la fête de la musique NDLR.

Ici, tout va bien. Papa et Beau-papa courent toujours pieds-nus. Cela incommode les animals de la cour d’à côté qui s’ingénient à me balancer encore et toujours des pierres, crachats et insultes.
Disons que depuis l’arrivée du nouveau directeur, les choses paraissent se calmer un peu. Enfin, un petit peu. Restent toujours les insultes et les jets de bouteilles d’eau d’un litre et demi qui font mal lorsque c’est reçu !
Disons que, si je reste assis dans la cour, on ne m’agresse pas.

La prison, c’est le manque de tabac et de chichon. Et de nichons. Y en même qui ramassent les mégots. 
Faut-y que certains soient riches pour jeter des mégots. Merci mon Dieu d’avoir arrêté de fumer. J’aurais fait le clodo ! La prison, c’est aussi le scrabble après le repas de midi. C’est sympa. Je fais souvent deuxième. Papa très fort, Juju.

J’ai beaucoup de nouvelles des amis. C’est chouette. Marie m’a aussi écrit ainsi que ta mère. Ici, on me parle beaucoup de ma mère, au moins deux fois par jour. Ils l’aiment tant (surtout les z’arbis et les gitans) que, la preuve ? Ils l’enculent. 

C’est leur langage un peu viril. Affectueux, tout de même.  
Quand à toi, ma fille, tous croient que tu t'appelle Putain. Y a beau leur dire qu’ils se trompent ! Mais, non. Rien à faire.

Parfois, nous recevons des colis (pas de Noël) avec du shit. Je t'explique. De l’autre côté de la prison se trouve un gentil cimetière. Avec de gentils galets dans les allées. Hors Ramadan, on prend  un galet important (pas trop gros mais pas maigre), on y attache du shit, environ 15 grammes ou un portable. 


En période de Ramadan, c’est de la viande hallal, et on balance le tout par-dessus les filets.Le colis tombe dans la cour A et certains détenus le renvoient dans la cour B, le jeu consistant à ne pas le prendre sur la tête, et être plus rapide que les gardiens qui se dépêchent d’essayer de chopper le colis mais, en général, il a disparu dans la cour B.
 
Gardiens 0, détenus 1 !  Le type qui a renvoyé la "balle" se retrouve remonté en cellule avec un rapport. L’étage 1 toujours puni. Pas le 3.

Ici, dès le dimanche, la cantine Tabac est réduite à minima. Faut voir les trafics. Pour un bout de shit, compte 5 paquets de Marlborough (c’est l’Unité de l’échange).Et on s’emmerde quand même. 


Un jour, on nous a envoyé un ballon dans notre cour. Bruce (Mister Washington) l’a renvoyé à la cour B qui s’est chargée de le crever avec les barbelés. Monsieur de Lafayette avait déconseillé la chose. Mais Bruce avait justifié :

-Laisse les animals jouer. Ils emmerderont pas. Hug !  Bien raisonné, mais piètre résultat : ballon crevé !
Pourquoi moi être Lafayette ? Parce que moi avoir entamé grève de la faim pour soutenir Washington dans son épreuve de cachot (heureusement courte : 3 jours !).

A part cela, tout va bien. Je bronze, je campe dans la cellule (je dors par terre et redresse mon matelas dans la journée jusque vers 19 heures). La table et les deux chaises pour 3 sont en plastique de plage. Je n’ai pas d’armoire. Mes affaires sont sous le lit gigogne.On campe, quoi. C’est comme les voyages : ça entretient la jeunesse. 

Disons aussi qu'on s’emmerde ferme.
 
Ce jour, je voulais aller à la bibliothèque consulter le Code Pénal. Pas de biblio suite au concert pour lequel je ne suis pas admis. Tout cela, tu le sais au dernier moment, c’est la zonzon, mais l’administration ne m’a pas prévenu si j’étais ou non invité. Et pourquoi ? C’est comme ça. 

Ici, c’est bien. On a même Canal +. Même que le soir, on a des films de cul. C’est ballot pour des mecs condamnés pour délits sexuels et à une obligation de soins. Ce n’est (peut-être, NDLR) que le début des soins ! 


Bon. Assez déconné. Je vous embrasse et je pense que ça va bien pour vous. Moi, ici, ça va. Enfin, ça pourrait aller bien si je n’étais pas ici.
Bisous à tous, votre père et beau-père,       

Aujourd’hui, ce matin, F---n le fou a cassé la vitre de sa chambre. Bruce lui a crié par la fenêtre : 

-Prends un morceau de verre et coupe-toi la gorge ! 
Pas gentil, Mr Washington! Pas gentil.
                                                                     
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Dans ses poésies, Rolando (le génial poète italien) nous dirait, en toute humanité:

-Bruce, et toi F---n le fou de merde,  je vous en-matricule en toute humanité !                                                               

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