mardi 31 janvier 2017

Claire-Lise, ma soeur.


Claire, ma sœur kabyle s'en est allée lundi 30 janvier 2017 à 0h39, aimée et entourée jusqu'à la fin. Après avoir souffert longtemps, elle s'est éteinte doucement comme une bougie. Aussitôt, tous nos amis, nos parents, nos enfants, comme par magie l'ont rallumée dans leur cœur.

Ma joie fut de chanter, parfois à deux voix nos cantiques des « Ailes de la foi », elle qui, s'étiolant de jour en jour déplorait d'avoir perdu la beauté de sa voix.
Lorsqu’elle se reposait entre deux hospitalisations, j’amenais ma toute petite guitare électrique, celle que j’ai ensuite offerte à Yasmine et je l'accompagnais.
- Ne joue pas trop fort.

Nos chants ? Splendides sauf qu’ils s’appesantissent trop souvent sur la mort, la souffrance du Christ. Aussi, lorsque je tentais d’éviter un couplet trop mortifère, elle…
- Non, Gilles. Tu as sauté un couplet. On va le chanter…
Au début, nous chantions en pleurant.
- Claire, veux-tu que j'arrête ? 
- Surtout pas !

À l’hôpital, lorsqu’elle fut assommée par la morphine, je chantais encore et encore persuadé qu'elle pourrait ainsi se retrouver toute jeunette à Yakouren, notre paradis perdu.

Elle n’aurait pas apprécié, mais alors là, pas du tout que je parle en bien d'elle. Par contre, elle n’aurait pas manqué de remercier le personnel de l’hôpital du Vigan et particulièrement l’infirmière Corine et l’aide soignante Danielle qui, dans la nuit l’ont lavée aussitôt pour effacer sa souffrance puis habillée et pomponnée pour la rétablir plus qu’en son humanité, en reine de toutes les bontés.
- C’est vous qui avez choisi cette robe bleue ? Non ? C’est elle ? Nous vous la ferons belle. Vous verrez.
Et nous avons apprécié. Je n'ai malheureusement retenu que ces deux prénoms de toutes les soignantes. Je m'en excuse. Je rajouterai les autres prénoms si on me les fait parvenir.

Une cérémonie funèbre funéraire se tiendra au temple réformé du Vigan, à la chapelle évangélique ou à la salle Wesley ce mercredi 1er de février et sans doute à 15 heures. Je n’y assisterai pas, non parce que je suis encore trop en colère contre Dieu et les hommes mais qu'à trop chanter avec Claire-Lise, je déraille depuis. 
De ma tristesse ? Je n'ai plus de larmes à verser car, depuis la Noël, seul, tous les soirs, en cherchant les cantiques les plus doux, je n'arrêtais pas de pleurer en demandant à Dieu qu'il fasse cesser le plus vite possible le calvaire de ma petite sœur.

                             Julie me représentera et chantera pour moi.

                                                           Gilles

***
                                                   
Notre cantique préféré, le 518 des A.F. Musique J. Beer. Parole Marcelle Perrenoud.
O Toi qui donne la vie,
A tes pieds je veux m'asseoir,
Comme s'asseyait Marie
A l'heure douce du soir,
Comme s'asseyait Marie
A l'heure douce du soir. 

Mon être entier te réclame;
Tout n'est que faiblesse en moi,
Viens te pencher sur mon âme,
Elle a tant besoin de toi,
Viens te pencher sur mon âme,
Elle a tant besoin de toi.

Maître, à tes pieds je m'incline,
Je t'appartiens sans retour,
Verse en moi ta paix divine,
Répands en moi ton amour, 
Verse en moi ta paix divine,
Répands en moi ton amour.  

                      ______________
De Nadjia le 3 février.Je m'associe à toi dans la tristesse de la perte de Claire-Lise.

J'aurais aimer lui chanter en kabyle en souvenir de son paradis de Yakouren pour l'accompagner dans sa dernière demeure. Je suis intéressée par l'histoire singulière des orphelins kabyles de la mission Rolland et leur "implantation" dans cette terre du Vigan. Courage et espérances pour toi et tous ses proches. Fraternellement. 

                                                       Nadjia.
                                                 ____________

De Fatiha D le 6 février.
Je te présente mes sincères condoléances pour la perte de Claire Lise.
Qu'elle repose en paix.
Je te lis régulièrement, c'est ainsi que j'ai appris le décès de  "ta sœur kabyle".
Je suis de Tizi ouzou, j'habitais à côté de la mission Rolland, à la lisière de la ville dite Européenne , ma maison était située dans la zone dite "indigène". J'ai fréquenté la mission Rolland  jusqu'en 1978 date de leur départ d'Algérie, puis c'est l’exil pour moi aussi.

Aujourd'hui, je vis avec mon mari dans le midi. Orpheline, mon sort aurait pu être comme le vôtre. La vie a décidé autrement pour moi.
En te lisant, je "touche" la violence de la société coloniale pour "ses indigènes" mais aussi la violence de la société patriarcale Kabyle envers "ses femmes". Les méditerranéens dont les Kabyles considèrent que leur honneur est entre les jambes des femmes.

J'ai connu Guita et Alfred Rolland, leur fils Daniel qui offrait du travail aux femmes Kabyles (tissage de tapis) pour subvenir à leur besoins, des femmes souvent en rupture familiale.
C'est peut être en souvenir de ce passé que je m’intéresse fraternellement aux enfants de Kabylie élevés par la mission Rolland.
C'est aussi parce que, toute petite j'ai entendu parler des enfants "adoptés" par la mission.
Quelque part, je vous connais , sans vous connaitre.
Cher Gilles, je te souhaite une bonne journée.
                    Fatiha.
 


mercredi 25 janvier 2017

Une pause... - 3

Samedi 30 mars 85. Ce soir, je n'aurais pas d’appel de ta part. Une journée normale. Mais, j'aime les samedis. Des fois, je me dis que j'écris dans mon cahier pour ne pas t'oublier. Et tuer l'attente.

Ma permanence ne commence qu'à partir de 14h. Petit café du réveil de chez Nestlé. On a une usine à côté et, quand les jours de vents balayent la ville, ça sent très mauvais mais le café est bon. Curieux. J'ai dormi en pyjamas Vichy rose et blanc. Encore un cadeau de Noël de maman. Faudra que je l'appelle.

Une pause...
Vaisselle, douche puis café-croissant et journal au Normandie. Après, centre ville pour visiter la tante de ton mari, Christiane à son petit bistrot où on parle de toi. Ton mari serait superbement intelligent, doué. A ce qu'elle dit, gentil même. Un bon gars. J'y rencontre l'ami Auguste de Neuville, l'ancien mineur du nord silicosé. Tu le connais, et son môme aussi, celui qu'il élève seul à 75 ans. On fait un mata. Ensuite ? Deux pastis. Trois ? Possible. Christiane m'a invité a manger avec Jo vers 13h30, puis un café offert. Nouveau mata avec Jo et le petit d'Auguste qui a déjeuné avec nous.

Une pause...
 Fait vraiment froid. 14h30 heures. Pas envie de rentrer trop tôt chez moi où seul Tibère doit attendre à la porte. Les urgences rappelleront, j'y mets ma main au feu. Elles peuvent car il n'est d'urgence que pour le client. Jamais pour le plombier.      
Faudrait nettoyer l'appartement. On verra plus tard. Du linge finit par sécher, étendu un peu partout. C'est petit chez-moi et tout encombre. Je range un peu sans repasser. Jamais. Tiens, je crois que j'ai un problème avec le pain. Encore oublié. On s’en passera ce soir sauf si j'ai une urgence en ville. 
Tibère m'a fait la fête pour se précipiter sur sa boîte mais ressort aussitôt. Il déteste l'aspirateur, tout comme moi. Je mangerai tôt ce soir où quand il rentrera, s’il daigne me visiter. Le frigo est plein, j'ai fait mes courses à Monoprix. Tiens, la dernière fois, je leur ai cloqué un chèque en bois que j'ai honoré ce jour. La responsable a apprécié, mais sans trop. Elle n'espérait plus ma visite.
Petit tour au CAC Jean Renoir à feuilleter des bandes dessinées puis des périodiques de moto. Je ferai une visite au Normandie tout à l'heure. Si j'y pense.
Allez, à la maison et au pieu. Tout habillé. Après-midi et soirée. J’ai assez de cigarettes et de quoi boire.

Une pause…
Inquiétant : j'ai la sensation d'être toujours couché chez moi. Pas si grave si ce n'était sans toi. Aux infos du soir, Gorbatchef remplace Tchernenko, on explique. Et Chagal serait mort, on regrette. Un grand peintre. Faudra que j’en parle à Bruno. C'est mon patron. Lui, il peint bien, comme toi mais pas de l'acrylique. De l'huile, comme les grands. Il m'a offert une toile. Des "saillots", des jonquilles d'ici ou des narcisses de là-bas. Je ne sais pas mais je crois qu'il se moque de moi. 
Mon amie Christine me dit que la jonquille, c'est le début de la montée de sève du printemps et, pour l'homme, une attente en langueur d'amour.

Une pause...
Bruno me conseille les petites dames de Rouen, la ville aux cent églises et aux mille bordels. Préférable à se laisser mourir idiot de désir exacerbé dans cet impossible amour. Le nôtre. Ça te ferait du bien de te dégorger le poireau, c'est ce qu'il croit. Des mots que je n'aime pas. Bon, mais ça l'amuse de me choquer, lui qui est si fin par ailleurs. Il dira ce qu'il voudra mais moi j'aime et je suis aimé.

Une pause…
Jean-Claude voudrait que je l’amène à un concours de manille ce samedi soir à Saint Nicholas d'Aliermont. Faut traverser la forêt domaniale d'Arques. J'aime pas. Ou à Auppegard, et peut-être bien plus loin. Il y aura plein de cochon à gagner. Et des bouteilles de vin. De l'argent aux premiers. Impossible, ce week-end je suis d’astreinte. Il le sait. Je le lui avais pourtant dit. Il a dû oublier. Et puis, il y a risque de verglas. 
Et puis, je n’aime pas jouer contre lui. Ni avec. Il triche et, quand il touche les cartes, tu as beau bien mélanger et couper, rien qu’à voir son jeu, il connaît celui des autres. Comme au tarot lorsqu'il compte ses points en arrangeant les cartes puis quand il distribue, il se compose un chien à sa convenance. Si tu t'en méfies, rien qu'à ta façon de le regarder, il sait que tu seras preneur, alors il t'aura fait un chien pourri. Comme on joue un peu d'argent, l'affaire se corse toujours avec ses fausses donnes qui ne sont jamais sans raison.
- Passe ton tour. La prochaine fois, tu paieras une garde. Pas possible, Jean-Claude, t'es pas marrant !

Une pause…
Curieux que je ne saurai jamais si tu penches à gauche ou à droite. Peu importe que tu te prétendes socialiste. Moi je suis à gauche toute. Bon. Vite un thé pour me réchauffer. J’ai l’impression de le préparer pour toi. Du thé à la menthe comme tu l’as appris au Maroc. Bien bouillant, attiédi longuement et très sucré.
On peut me sonner ce week-end pour toute urgence en serrurerie, chauffage ou autres fuites d’eau et gaz. Tiens, hier la police m’a rappelé que lundi, à 14 heures je devrais accompagner l’huissier pour ouvrir un appartement. C’était prévu depuis une semaine. Sur Neuville lès Dieppe. Sans plus. J’aime pas ça. Les flics non plus. Même l’huissier que ça l’attriste. Mais, c’est son boulot. Et s’il ne le fait pas, d’autres s’en chargeront. L'huissier toque. Pas de réponse ? A vous... et moi, j’ouvre en essayant de casser le moins possible. Après, faut rester signer le PV. Mais, je me fais oublier et je ne regarde pas trop l'état des appartements. Ni les gens dans les yeux. Que des pauvres. Bon, l'huissier ne passe jamais avec les enfants à la maison. Que pendant les heures de classe. Une belle attention.

Une pause... 
Tiens, l'huissier, un type sympa a écrit un livre avec plein de blagues. Véridique. Je te le passerai. Toi qui me raconte toujours les Grosses têtes, tu aimeras.
Samedi est vite passé, sauf après les informations du soir. Pas l'habitude des après-midi de repos. Ça me fait comme deux soirées qui se suivent. Déprimant. Dimanche, je fais quoi près de mon téléphone ? Espérer une urgence, la redouter ? Je ne sais pas, j’ai perdu l’habitude des dimanches et des jours fériés mortels parce que je sais que tu ne pourras t'absenter pour me visiter. La lecture ? Non, ma bibliothèques est indigente. Et puis, se plonger dans les histoires d'amour des autres, ça fout le cafard.

Une pause…
J’aime bosser parce que, comme ça j’oublie, et pas qu’un peu. Même toi. Et je fume au lit. Comme si tu accouchais. Ma piaule ? Une fumerie d'extrême-orient sans femme. J'aère quand je sais que tu viendras, mais tu es rarement là. Et surtout cette semaine. Et l'autre à l'identique.
Le plus dur de mes journées ? Le soir, mais pas tant que je peux m’abrutir à la télé jusqu’à la fin des programmes. Après, le réveil du matin est difficile. Comme une grande gueule de bois.  
Ma télé, c'est une Philips, jamais en panne. Une bonne fille. Au fait, il me reste un mauvais vin de célibataire et un fond de whisky. J'aime pas le Whisky. C'était pour partager avec les amis, mais comme, à part Bruno qui n'aime que le pastis je n'invite jamais personne chez-moi, je boirai sans pouvoir trinquer à notre amour. Triste. Et toi qui crois que je suis heureux à vivre seul, sans problème de famille à résoudre. Et moi qui te conforte dans cette idée. T'expliquer que moi, j’en veux des emmerdes, et un plein wagon à décharger avec toi, parce que ça, c’est un bonheur plein ! Tu ne comprendrais pas.

Une pause…
Hier, une vieille s’est fait exploser son four à gaz en plein visage. Elle a pourtant bien vérifié. Eteint ? Pas croyable, pourtant il semblait bien que...  Une deuxième allumette en regardant pour s’assurer du bon allumage de la flamme de la veilleuse, et boum ! On ne devrait vendre aux vieux que des fours électriques. Et encore, ceux avec minuterie qu’on ne peut pas mettre en manuel.
Depuis le 22... le 23 de mars, déjà une semaine de vacances scolaires, ma hantise et jusqu’au  jeudi 11 avril. J'espère que le 16 avril on pourra fêter ton anniversaire.

Une pause...
Tu penseras à moi et je m'occuperai bien de Tibère. Tu essayeras de venir, mais tu ne me promets rien.
De toute façon, lundi j’ai un chantier à Varengeville. Je mangerai le midi sur place.
Du 23 au 30, j’ai bossé comme un fou. J’aime bosser et demain, demain c’est dimanche, et dimanche me rappellera qu'on n'a pas fait l'amour depuis longtemps. Un jour de déprime et d'espoir, un long jour.
J'ai mis ton coussin dans un sac plastique. Je le ressortirai avant de m'endormir avec toi. Et tes senteurs fleuries. 
  
Mon téléphone n'a pas sonné ce jour. Il le fera demain dimanche, je le sais. J'aimerais que ce soit toi, même en urgence et à la va-vite.
Faudra que j'appelle demain ma mère. Sans faute. Ce soir il est encore trop tard.

dimanche 22 janvier 2017

Une pause... - 2

Dessin de Kroll
Mercredi 20 mars 85. 19h. Pas vu grand monde. Pelouses et promenade du front de mer, désertes. Passage au Brazza pour prendre un Gauloise, et toujours le même client tous les jours, il y était hier, il y sera demain, et comme rivé au comptoir. Et abonné à sa petite côte du Rhône. Passes-y, quand tu amèneras tes filles à la M.J.C. et tu le trouveras avec son eau chaude du matin suivie d'une longue série de "Une p'tite côte, Patron !" Et, fidèle au bar il tient le coup. Tiens, je ne l'ai jamais entendu parler à personne, et même qu'il n'a besoin que d'un signe de tête pour faire remplir son verre. J'aimerais bien connaître sa vie.
Faut y aller. Rue de la Barre, Grand Rue et rue Victor Hugo, peu de monde. Dure journée. Je ne sais pas s'il a dégelé de toute la journée. Fait froid, mais moins qu’en janvier, heureusement. Suis vanné. 

Une pause...
 
Ma journée ? Une fuite sur le chauffage central d'un vieil hôtel particulier avec ses tuyaux en fer des années 50 et, quand tu sais que l'eau, le fer et le béton font mauvais ménage... Une soudure noyée dans la dalle qui ne pouvait que lâcher. J'ai bien creusé pour dégager le tuyau sur une bonne longueur et poncé à blanc pour que Bruno puisse le monter lentement en température pour une soudure délicate à l'acétylène. Nous avons pris le temps du refroidissement, mis délicatement en eau puis attendu un bon moment pour contrôler. J'ai fini par reboucher le trou avec un mortier maigre. 
Du provisoire, qu'il a dit au client. Ça flanchera ici ou ailleurs, M'sieur. Faudra vite refaire toute l'installation en cuivre, oui M'sieur. Un peu plus cher mais c'est mieux. Le client, parce que soulagé lui a donné son accord mais, comme toujours attendra une nouvelle fuite. C'est écrit dans tous les bons manuels de plombiers-zingueurs-chauffagistes. 
Et, allez donc, prévoyons une nouvelle urgence parce que, tant que ça tient, on peut toujours attendre.

Une pause…

C'est ma journée. Pas mangé ce midi. Trop de dépannages qui prennent un temps fou, et l'eau et le chauffage qui n'attendent pas. C'est l'hiver. Maintenant il fait nuit depuis longtemps. Je longe la Grand Poste dans une petite brise frisquette, le grand parking de la Mairie ne la protégeant pas. Détour par le Normandie pour souffler un peu avant de rentrer. Le bar a commencé sa fermeture. Ne restent que quelques clients, bien peu car il fait trop froid pour sortir de chez-soi. On cause utile devant son pastis. On est des taiseux, par chez-nous. 

Faudra penser à visiter Guillaume à la clinique des Aubépines, Guillaume et ses oreilles de Mikey recollées. Interdit de le faire rigoler et les copains de bistrot qui se relaient pour le faire pouffer. Et ça les amuse de voir cette tête bandée s’étouffer et qui hésite à les regarder dans les yeux pour ne pas éclater. Même que les infirmières les mettent à la porte, ils y comptent bien et aussi sur moi pour un bon coup de main. Penser à trouver le temps de lui tenir la main, c'est mon ami.
Survolé Paris-Normandie debout au comptoir. Celui de hier déjà lu, l'autre aura disparu. Pas grand-chose à se mettre sous la dent. Sœur Sourire serait morte. D’après le patron. Tout le monde connaissait Dominique, nique, nique.  Suicidée avec sa copine. Pour une histoire d’argent avec les impôts.

Une pause…

Bien sûr que je connaissais Sœur Sourire. Se suicider à cause du fisc. Impensable. La dernière histoire belge d'une bonne sœur qui se découvrirait gouine après le couvent, comme si ça se pouvait. Elle ne s'est pas défroquée pour rien. 
Allez, à la maison, et au lit. Je suis trop crevé. Et soirée télé avec un grand verre de rouge.

Une pause…  

J'aime écrire. Ça me tient compagnie. Pardon. Faut que je me relève. Tibère miaule à la porte. Lui, à part la bouffe et la rue. Non, c'est injuste parce que je sais que lui m'aime. Moi aussi, je l'aime sans doute parce que j'ai au moins quelqu'un à devoir m'occuper. Il a faim, alors moi aussi. Bon… Messire Tibère, qu'avons-nous au frigo ? Du jambon blanc, des œufs et du lait, pour vous surtout. Penser à le couper d'eau. De la saucisse sèche, pour Tibère encore, non, pas assez pour deux, des Vache qui rit et du pâté pour mon morfal et même du beurre demi-sel, pour moi. Avec du pain dur. Tant pis, je ne ressors pas et les boulangeries sont fermées depuis longtemps. Et je n'ai pas le temps de fréquenter mes quelques voisins pour me faire dépanner. J'ai allumé le four pour le pain et réchauffer ma piaule.
Je finirai un reste de soupe d'hier. Tibère n'aime pas. Parfait !

Une pause...

Je suis au lit avec mon cahier. Tibère a daigné m'accompagner. Je le caresse en pensant à toi. J'ai un petit moment de blues et je suis triste pour Sœur Sourire... Roméo-Juliette et Juliette-Roméo se mourant pour du pognon. Moi, je cherche l'amour dans c'tte affaire, surtout que j'essaie d'imaginer des gouines au lit. Mais, comment s'y prennent-elle ? Bon, à trois, je ne dis pas, moi au milieu pour l'équilibre des choses en joueur juge-arbitre. Salomon pris en sandwich, si tu vois cette affaire ? Essaie. Faudra t'en parler le plus sérieusement du monde la prochaine fois. Non, pas du suicide. De l'amour entre femmes.

Une pause... 
  
Ce soir, j'ai encore dîné sur le pouce en amoureux, seul et transi. Pas que de froid.
Enfin, pas tout à fait seul, j'oubliais mon Tibère. Tiens, faudra que je te raconte la raclée que lui a mise un goéland pour un sac-poubelle éventré. Une saleté que ces oiseaux agressifs qui te pourrissent la rue. Les chiens redoutent leurs coups de bec. Même qu'une fois, y en a un qui a survolé la Grand Rue à basse altitude et m'a lâché une de ces fientes liquides, énorme. Une puanteur. Je te jure qu'il n'avait visé que moi. Et bien touché.

Bonsoir, mon amour, dors bien. Moi, je ferai de beaux rêves. A dans une semaine.
 

jeudi 19 janvier 2017

Mes vœux pour 2017…

Mes vœux les plus chers pour 2017 ?… Que les français se guérissent enfin de ce mal qui leur fait accroire qu'ailleurs on pourrait vivre plus heureux qu'en France. Ensuite ?  Que les viganais, dont je fais à nouveau partie se rendent enfin compte qu'ils ont la chance de vivre dans la plus belle petite ville du monde. Certes, beaucoup de choses restent à entreprendre et, si nous bénéficions d'améliorations importantes, dont la Maison de Santé il est dommageable que, dans le même temps l'Hôpital du Vigan s'agrandisse tout en étant moribond. Paradoxal, mais y sommes-nous pour quelque chose ? Je vous le demande.

Reconnaissons que la municipalité s'est évertuée à améliorer le revêtement des rues de la ville. Toutefois, je déplore qu'en voulant faire bien, beau et "confortable", nos urbanistes aient oublié les épisodes cévenols et leurs orages particulièrement violents, toujours catastrophiques même s'ils ne durent parfois pas plus d'une journée.

Pour donner un effet d'agrandissement aux rues, les trottoirs on été supprimés. Bravo, notre population vieillissante ne se cassera plus le col du fémur. Ce faisant, en disparaissant ou ne faisant que quelques petits centimètres de haut, leur effet indispensable de "berges" canalisatrices pour diriger les eaux vers les avaloirs des bouches d'évacuations n'existant plus, leur ruissellement devient ingérable, envahissant tout, noyant délicatement certains commerces qui bénéficient ainsi d'une grande lessive annuelle.
Certains viganais, peu nombreux, reconnaissons-le me rétorqueront :

 
- Pour quelques petites journées d'automne, en faire tout un plat ? Pas sérieux !

 Croyons que les commerçants touchés partageront cet optimisme de bon ton. 

Je profite, à l'occasion de ces vœux pour vous entretenir de la Maison de Santé", un beau bâtiment moderne qui aurait été construit à la demande de l'ensemble des médecins de la ville pour faciliter leur travail.

Le projet réalisé a été mûrement réfléchi comme on l'aurait fait à Prat Coustal, petit village situé près du Col de la Cravate qui aurait décidé d'attirer un médecin en lui offrant des facilités d'installation en le logeant dans une petite maison de santé individuelle, la Secrétaire de Mairie faisant office à l'occasion de secrétaire médicale "bénévole", nécessité faisant loi. 

A Prat Coustal, si on était fous on appuierait les efforts de la Mairie, de la Communauté de communes, du Département, de la Région, de l'Etat et de l'Europe. Mais, le Vigan avait-il besoin d'attirer des médecins en leur offrant des facilités ? Pas que je sache.
Tiens, je remarque que je commence à fâcher quelques amis viganais : je sais qu'ils me voient venir en pensant, avec raison que je voudrais aborder cette réalisation magnifique, un bienfait pour la Communauté sous un angle machiavélique. Croyons que ces même amis ne participaient pas au secteur locatif privé qui louait des cabinets médicaux et voient leurs rentrées d’argent taries, sans compter qu'ils paient depuis pour loger les médecins de la ville. Et, pourquoi pas ?

Je ne dis pas que les concepteurs aient réfléchi avec leurs pieds, loin de moi cette idée. Mais, quand j'allais consulter François, j'avais choisi le meilleur médecin de la ville, à mon avis et je rencontrais peu de gens en son cabinet. On blaguait entre nous, même que quelqu'un avait écrit, au feutre "Dr House" et que l'inscription n'a jamais été effacée. Voyez. Maintenant, je rencontre l'ensemble des viganais dans cette Maison de Santé. Parfait, me dira-ton pour la convivialité, j'en conviens quoique jusqu'à présent j'arrivais parfaitement à éviter certains fâcheux pour me tenir en meilleure santé mentale et ne pas attraper des boutons à leur contact. 
Aujourd'hui, c'est à me dégoûter d'aller consulter mon Dr House.
- Tiens, tu es malade ? Le sida ? Toi aussi ? Non ? Une maladie vénérienne, non plus ? Tu préfères un cancer ! Ah... pas pour ta dose de Méthadone ? Si tu le dis !
Misère de misère car, maintenant pour avoir un rendez-vous, adressez-vous à l’accueil qui vous proposera une date. Dans une à deux semaines avec votre médecin traitant si possible ? Il n'est pas disponible avant quatre semaines. Pas de problème : on vous orientera sur un autre médecin.
Par l’effet bénéfique de notre Maison de Santé, tous les médecins deviennent votre médecin traitant et, lorsque l'on constate la longueur des délais d'attente, on pourrait penser avoir affaire à des spécialistes.

Pour continuer dans mes "élucubrations" disons que, par la grâce de cette avancée médicale, tous les médecins du Vigan pourront lâcher leur cabinet sans aucun souci de devoir se trouver un remplaçant aussi, prévoyons à court terme la désertification médicale de toute la région. Imaginez les recommandations du Ministère de la Santé :
- Vous voulez vivre en parfaite santé ? Nous vous conseillons les Cévennes et, pour être plus précis, le Vigan. Parfaitement, et je tiens à votre dispositions mes statistiques.
Vous me direz qu'en Cévennes, le peuple est réputé rude, dur au mal, jouissant d'une santé de fer sans compter notre pauvreté légendaire qui nous contraint depuis longtemps à l'automédication. Une mode de bobos ? Pas par chez-nous, que je vous rassure !

D’un autre côté, sachez que, par l'effet bénéfique de cette Maison de Santé, lorsque tous nos praticiens auront foutu le camp en catimini, la Mairie reprendra le projet et, par l’efficace d’Internet lancera un appel d’offre. Un médecin roumain acceptera de venir nous soigner.
Faudra surtout pas l’expulser de France… bon, vous me direz que depuis cette idée lumineuse de Maison de Santé, j’ai l’honneur de ne plus fréquenter la médecine. Autant de gagné pour les Caisses de Sécurité Sociale et, comme on dit si bien par chez-nous :

 A quelque chose, malheur est bon !

jeudi 12 janvier 2017

Une pause... - 1

Ce jour de la Saints Innocents, je reçois en cadeau un texte dans lequel, de but en blanc on me remercie par avance de le glisser sur le Blog. Rien que ça et comme si cela ne dépendait que de moi ! Bon, comme on me met au défi... mais, plus de ça entre nous, Alfred !
Comme Gilou balançe, je transmets à la rédaction dont voici le compte-rendu, en raccourci :
- Américo, ton sentiment, toi qui as lu.
- Moi ? Ce que j'en pense Ménie ? Mais que ton jugement peut se passer d'attendus. Sauf que c'est encore du Gilou déguisé en Alfred. Encore et toujours lui. Ne peut s'en empêcher !
- Mais, non. Mais, non ! Il en est incapable.
- Qu'est-ce qu'elle dit, Ménie ?
-Rolando, la dame te dit qu'Alfred raconte une belle histoire ! Et moi, je dis qu'Alfred n'est autre que notre incapable...
- Alfred qui ? Un incapable ?
- Alfred, oui et Fannie aurait reconnu son homme si elle n'était repartie en Afrique. Encore une histoire pour bonnes femmes avec plein de misères servies. Pas vrai, Américo ?
-Pas de ça, Pierrot. L'écriture plaît. Surprenante. De l'eau de rose ? Si on veut, mais pas mal. De la bonne et grosse tendresse. Pour nanas, oui mais pas que. Géniale ? Ben, si Ménie te le dit ! Pas vrai, Gilou ?
-C'est ce que tu penses aussi ? demandais-je à Américo.

Il m'a regardée, glissé un clin d’œil puis haussé les épaules d'un qui n'en avait rien à battre de ce texte. Sacré Américo, mais que je vous rassure, Alfred il vous apprécie. Une petite jalousie ? Avec lui, attendez-vous à tout !
Mon cher  Alfred, c’est moi qui vous remercie pour l’amitié que vous m’accordez en nous offrant ce gentil texte et, comme  je suis la meilleure amie de Fannie, je ne me refuse rien. Pas vrai, Gilou ?
Je vous embrasse, et toujours vôtre, et bonne et heureuse année, 
 
                                                                                          Ménie.
PS : Je ne connais par encore l’entièreté de l’écrit mais les premiers feuillets sont prometteurs. Je suis emballée. A découvrir ensemble.

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Dimanche 6 mars 1985.  Je vis avec ma télé qui parle, qui parle... A n'en plus finir. Elle ne cause même qu'à moi, je le sais sauf que j’peux pas lui répondre. Tu dirais mon ex. Oui, mais au moins me tient-t-elle compagnie. Parfois, elle cause pour ne rien dire, alors je lui coupe le sifflet. Ça ne la dérange pas. Toi, tu ferais la tête jusqu'à te refuser quand je t'énerve à faire semblant de t'écouter attentivement avec ces yeux de fou qui sont déjà à t'imaginer nue, couchée dans mes bras, toi encore toute habillée qui considère que le bonheur consiste à prendre son temps à parler, à se mettre à l'aise.
- Tu me prépares un thé ? Comme si on avait tout notre temps.
Tu gâches, chérie, tu gâches. 

Une pause...

Ah, oui, ma télé... je disais que j'hésite à lui couper trop longtemps le caquet, à ma télé car alors je me retrouve comme un môme seul dans le noir, les draps sur le tête pour me protéger du silence.
Bon Dieu, pourvu qu’elle ne tombe pas en panne ! Oh, que non, ma télé !

Et Tibère qui ne rentre que pour partager mon repas.

Une pause…
Tu peux me demander ce que tu veux : pas fumer, pas bander pour un beau fusil ou une peinture, ni chasser, ni manger, ni boire. Pas même respirer, je pourrais.
Mais ne me demande pas de me séparer de ma télé car, même quand je l'éteins, elle est belle et j'aime la regarder. On dira que j’aime un meuble ? Oui, comme tout ce qui m’est indispensable. Comme toi, mais qui serait toi en pire !
En pire ? Pardon je n'efface pas. C'est amusant... mais non, tu me comprends !
Tiens, là dans ton cadre fixé à la porte tu me souris comme lorsque tu franchis notre seuil en retirant ton manteau pour ensuite faire glisser lentement, telle une star ton écharpe de soie colorée le long de ton cou tout en m'embrassant du bout de tes lèvres peintes, et moi je sais à cet instant que tu ne repartiras jamais de chez nous, toi l'irréelle dont la venue me surprend toujours.

Une pause...

Mais, qu'est-ce qui m'a pris de te punaiser sur ma porte d'entrée. Quand je l'ouvre pour te recevoir, ton image disparait puis, lorsque je la referme, tu es encore et toujours sur le seuil, toujours en entrance, jamais en partance. Même quand tu es déjà au loin chez toi, tu es toujours avec moi à me sourire. C'est chaud et épuisant..

Une pause...
Tu sais, je ne sais pas vivre sans ma télé, alors que sans toi, tu m'as appris. Mais un apprentissage subi même si, aujourd’hui je ne sais que t’espérer en ne quémandant rien.
Elle au moins ma télé me permet de ne plus t’attendre en impatience. A tant vouloir que le temps ne respire plus, à tant le serrer et ne le garder que pour nous, je m'étiole. Et qui a dit qu'à trop serrer le temps ce n'est pas vivre parce que tout vous échappe ?
Tiens, on dirait que ma télé s'est rapprochée de moi. Une hallucination ? Je ne sais plus.
                                                                       
 J'allais oublier : je t’aime tant.

Une pause...

J’arrête d’écrire, la télé fermée, allumé la radio. Tiens, une info. Attends, attends... L'archevêque de Paris, Lustiger demande que la France n'aide pas financièrement le prochain film de Martin Scorsese, la Dernière Tentation du Christ, son nouveau film pas encore sorti. Après l'avoir vu avec des journalistes en avant-première ? On ne le dit pas. Rien que sur l'énoncé du titre ? On dirait. Suffisant pour forger son opinion ? Amusant.
Mais, nous, on s'en fout de Scorsese, de Lustiger, du Pape et du Saint Frusquin.
Et Tibère encore en goguette, à vadrouiller à la gueuse. Il ne rentrera que sur le matin par la chatière. Penser à le castrer ? Ça te déplairait, je le sais, mais pourquoi pas ? Pour te punir ? Oh, mais tu as de ces idées !

Une pause...

De toute façon, je peux te dire ce que je veux dans mon cahier puisque tu ne le liras jamais. Bon. Pour la castration de Tibère, pas question parce que j'aurais la sensation qu'elle s'appliquerait sur moi, déjà que quand tu ne viens pas, tu me rends impuissant pendant toutes mes longues attentes.

Une pause...
  
Tiens, un jour je me la glisserai sous les draps, ma télé, à bien me la fourrer au lit, ma télé. (Hé ! C’est une blague). Putain, qu’elle est lourde. Et encombrante. Mais, elle me tiendrait chaud toutes mes nuits sans toi et, Dieu seul en tient le décompte. Et si longues en ton attente.
Ce soir, j'ai encore mangé léger avec Tibère qui monte toujours sur la table à tout contrôler. Je sais que ça ne se fait pas de manger avec deux assiettes dont l'une pour le chat, mais tu n'auras qu'à venir plus souvent pour t'expliquer avec lui. Moi, je n'y arrive pas. Il quémande tout le temps du repas et je ne peux refuser sa compagnie à ma table. Après, il s'en va.

Le ventre léger, je dormirai mieux, sans rêves. Tiens, je m’avachis sur une chaise quelques instants, le nez sur mon cahier et je me dis que, sacré bon sang de bonsoir, faut que j’éteigne souvent ma télé pour rester un peu avec toi parce qu'à force, j'ai la sensation que ma télé se mettrait bien entre nous. Pour nous séparer, sans doute. T'en penses quoi ?

Une pause...
 
C’est pas vrai, pas croyable mais je sens que je t’aime encore plus quand tu es absente. Bien vrai, ça. Vrai de vrai. Certains diraient que je commence à tourner maboule, déjà que tout à l'heure j'ai en l'étrange sensation que ma télé s'était rapprochée de moi, tu vois ?
Mais, sans toi, j'ai besoin de ma télé. Et de Tibère. Et ça, tu peux comprendre. Mais, vous, ma belle ne me tenez compagnie que par votre seule absence plus pleine que vos présences trop vides parce que bien trop fugaces.

Une pause...
Dieu, que tu es belle et bonne pour moi. Et, Dieu sait que je t’aime. Mais tu n'es pas là. Bon. Je rallume la télé. Elle aussi est longue à chauffer. Aussi, j'en profite pour t’embrasser. Comme si je pouvais. Bonsoir, mon amour.
 ________________
Ndlr : Ménie s'est chargée de la mise en page. L'idée des "pauses" ? Elle y tenait absolument. Tant pis pour nous.

mardi 3 janvier 2017

Il était une fois rien - Fin

Ce petit conte du Noël que je n’ai pas encore écrit n'aurait jamais existé si je ne m'étais souvenu de l'avoir sorti, il y a fort longtemps à une veillée de Noël dans une chapelle en Cévennes :

- Quelqu’un aimerait-il nous raconter un conte de Noël ?
Assis en cercle, nous nous regardions, mais de là à se décider…
- Je veux bien, dis-je en me levant.
- Merci. A toi la parole.

Je pris tout mon temps, comme le faisait Marcelle qui, à chaque veillée de Noël se proposait de raconter ses belles histoires. Tout comme elle, je souris, comme on se sourit parfois à soi-même, regardais l’assistance avec bienveillance puis, marchant lentement d’un côté à l’autre à travers l’espace qui m’était réservé, en joignant les mains comme pour entrer en moi-même :
- Ce furent des temps troublés que ces temps-là. Notre histoire se déroulera un peu avant et pendant ce qu’on appelle la guerre des Camisards qui marquera de façon indélébile notre petite patrie. Notre héros naissait dans nos Cévennes tourmentées en 1683, son père limousinier à Bréau, la mère au foyer avec une famille nombreuse. Mais, on n’en sait pas plus.

- J’aborderai ici un peu de l’histoire d’hommes et de femmes, vos anciens qui, craignant Dieu fréquentaient beaucoup plus nombreux que nous, qui les églises, qui les temples puis les assemblées du désert.
Par ce petit conte de Noël, j'aimerais que notre héros laissât son nom à la postérité, non seulement pour avoir combattu les troupes royales de Jacques de Julien, ce cruel maréchal de camp surnommé "Cœur de tigre" par les religionnaires mais surtout en s’opposant à la volonté "divine"* dictée au "prophète"* Henri Castanet devenu, avec sa troupe de Camisard de l’Aigoual le bras vengeur de Dieu.

* Pour mon auditoire je signalais les guillemets de cet écrit par un temps d'arrêt après "divine" et "prophète".

- Ces moines m’ont sauvé la vie. Ce sont des hommes bons, des saints. Henri, détruire Notre Dame du Bonheur, est-ce bien la volonté de Dieu ?
- L’abbaye dans la charité ? Une infâme gargote qui fait payer le gîte et le couvert avec la cloche pour appeler le client à la cantine. Tiens, on repartira avec la cloche de ce lieu de débauche où l'on ne pratiquait même plus la messe.
- Raison de plus de laisser ces hommes en paix.
-Je te promets que lorsque j’expédierai un de tes bons moines au Père Eternel, je lui demanderai d’accueillir ce mécréant en son infinie bonté et de lui apprendre la vraie religion.
Notre ami rappela encore à Castanet le massacre des 40 femmes et enfants de Freissinet-de-Fourque, près de Meyrueis. Il se révéla plus tard qu’y figuraient quelques protestants hostiles aux exactions des camisards.
Notre jeune ami ne s’en remettra jamais.

- Halte-là, me disais-je, Gilou… tu t’égares. Je m’arrêtais un instant pour juger de l’effet de mon discours sur mon petit auditoire. Mince, alors. Pas croyable ! Je l’avais fait entrer brutalement dans mon imaginaire. Je poursuivis donc :
- Avant que de vous raconter mon histoire, replaçons-là dans son contexte. Depuis bien avant le dernier Synode autorisé de 59 à Loudun, il me semble bien, Louis XIV n’avait eu de cesse, par de trop nombreux édits que de faire rendre gorge à la Religion Prétendue Réformée, cette verrue qui ternissait son règne.
L’apothéose en fut la Révocation de l’Edit de Nantes, l’édit irrévocable de son grand père Henri IV. Tous les temples dont celui de ce hameau, tous à quelques exceptions près finiront en ruine et leurs pierres consacrées réutilisées pour la reconstruction d’églises que les protestants avaient mis à bas un siècle plus tôt, ceci expliquant cela.
- Comme celui de Saint-Jean de la Gardonnenque !
- Tiens ! Un emmerdeur qui s'y connaît… me disais-je.

- Comme ce temple-là, oui. Je savais qu’il ne serait pas bon de trop m’appesantir sur les exactions de ceux de Religion prétendue réformée car les protestants avaient fait dans la démesure un siècle auparavant en interdisant le culte catholique des décennies dans certaines villes, environ un demi siècle au Vigan, en tuant, brutalisant, expropriant des catholiques. Mais, Julien, dit "l’apostat" fit mieux : 31 paroisses touchées avec leurs 466 villages et hameaux détruits dans "le grand bruslement des Cévennes" pour activer la besogne, plus de 13.000 villageois déportés avec leurs bêtes, leur mobilier plus de nombreux meurtres et pillages, toute la Cévenne dépeuplée et affamée pour qu’elle ne puisse alimenter la rébellion en entretenant les bandes de ceux qui s’appelaient entre eux "enfants de Dieu".

Je revenais à mon conte de Noël, mon petit auditoire toujours suspendu à mes lèvres.
Un temps de repos, comme en une sorte de prière silencieuse, quelques pas, puis…
- Donc, il était une fois un jeune homme qui, à ses vingt-ans, ayant bien appris chez son oncle, notaire sis à Nîmes décida de s’en retourner pour quelques jours revoir sa belle. Au retour, il visiterait ses amis et sa famille autour de Bréau. 
Après Saint Sauveur de Pourcils, le célèbre Castanet, anciennement garde des bois dans le massif de l’Aigoual devenu chef de guerre l'arrêta puis le laissa poursuivre son voyage.

Il est bon de savoir qu’un conte de Noël ne tient qu’à la façon, non de le raconter mais de l’amener à la vie comme si vous vouliez que vos auditeurs en deviennent les témoins vivants, les acteurs même et qu’ainsi ils perpétuent cette histoire "vécue", la gestuelle, la science du conteur important autant que le sujet lui-même, Marcelle me l’avait bien dit :
- Une belle histoire, tu ne peux la partager sans la vivre. Mais, ce n’est pas suffisant : il importe que tous, sans exception y participent, et donc tu dois les y inscrire. Qu'elle évolue, qu'elle baigne dans la fragilité, la bonté, la douceur, la grâce, l’amour, l’abandon, l’entraide, mais ne joue pas sur les bons sentiments. Vis-les ! A la fin, tes personnages se placeront tout seuls dans la main de Dieu et, ainsi le conte de Noël se parachèvera de lui-même et survivra. Tu n'aura même pas besoin d'en trouver une fin heureuse ou d'en tirer une morale.

M’en rappelant, et après ce rappel historique, j’attaquais le récit de Noël :
- Notre Pierre Carles, si ce n’étaient l’inquiétude et les soucis générés par ces temps de religion extrême fut  un jeune homme heureux, vigoureux et insouciant de la vie parce qu’amoureux.
Je rappelais son arrivée en diligence au Vigan, le départ par la malle poste jusqu’à Mandagout, les guêtres en peau de mouton lacées, le chapeau, le foulard qui ne laissaient percer qu’un regard farouche, le lourd et long manteau noir qui protégeait deux longs pistolets passés à la ceinture, le bâton ferré, la soupe à Cap de Coste, le passage au col de la Lusette enneigé (anciennement la Luzette), l’arrêt à L’Espérou, un nouveau départ vers le col de la Séreyrède, la neige profonde, la forêt, le brouillard, la traque des loups, la cloche de Notre Dame du Bonheur… 

- Je crois savoir que la cloche sera emportée par Castanet et que personne ne la retrouvera plus jamais. Et tous les habitants de Camprieu seront exilés parce qu’ils ne se seront pas opposé à la destruction des églises de la région et de l’abbaye.
Commence à m’énerver, celui-là ! Ressemble à Cavalier. Et, emmerdant comme la pluie.
- Pas tout à fait, mon ami. Ils furent exilés justement parce qu'ils s'étaient opposés à cette destruction pour ne pas subir l'ire royale, pensait de Julien. Etrange, me diriez-vous alors que protestants et catholiques du village aimaient leurs moines. Voyez que la réalité... enfin, ce que moi j'en dis !
Un temps de réflexion pour reprendre mon souffle : 

- Cette précision s'imposait. (Et tac ! me disais-je, dans ta gueule !). Donc, hormis l’ensemble du massif de l’Aigoual extrêmement étendu, nous savons tous que les troubles de 1702 à 1704, ne touchèrent pas la partie des Cévennes qui se trouve à l’ouest de la paroisse d’Aulas, ce gros bourg à une demi-lieue du Vigan dont le Temple de Bréau dépendait, celui-ci possédant les moyens d’entretenir, seul son propre pasteur.
Pendant que notre jeune homme cheminait par l’itinéraire que je vous ai déjà indiqué, en revenant de Meyrueis de chez sa belle pour reprendre son emploi chez un notaire de Nîmes qui avait abjuré du bout des lèvres pour conserver sa charge, il rencontra à nouveau "l’humble" Castanet qui l'enrôla. Ce fut grand malheur pour lui, mais comment refuser ?

- Pierre Carles sera surnommé "lou Caganis" parce qu'il était le dernier à avoir rejoint la bande et aussi par dérision parce que le petit portait beau et maniait un français châtié que ses rustres coreligionnaires patoisants n’entendaient pas bien, quand bien même les sermons des cultes se faisaient dans cette langue et que tous leurs enfants lisaient la Bible et chantaient les pseaumes en vieux françois. 
N'oublions pas que tous ces "bandits" de la cause de Dieu portaient un nom de guerre, à l’exception des chefs déjà connus des autorités.

Alors, il vécu une vie de patachon, le "bruslement des Cévennes" par de Julien rendant la vie des villageois et des camisards invivable avec le froid, la faim extrême et le rejet des bandes armées par les villages pourtant favorables à leur cause. Alors, il fallut vivre dans les grottes, les bois en se terrant tels des animaux redevenus sauvages et poursuivis sans répit par les chiens, les dragons, les miquelets, les fusiliers, traqués par les espions de Julien et autres milices catholique, jamais deux jours dans le même endroit. Quand Castanet se rendit, Pierre rentra discrètement à Meyrueis (Maruèis), épousa sa promise et revint s'installer avec elle à Bréau.
Voilà. Mon histoire prend fin. Je vous remercie.

Ce n’était pas à proprement parler un conte de Noël, et je m’en voulais. Pourtant, je constatais que tous les visages semblaient émerveillés, sauf celui de mon "camisard".
- Mais, dans le merveilleux je vois la cloche de l'abbaye du bonheur, mais la main de Dieu, l’esprit de Noël ? J’attendais que Dieu se manifestât…
Tiens, il parle bien, ce type et moi qui avais envie de lui répondre :
- Le merveilleux ? Pendant la guerre des Camisards... Dieu était aux abonnés absents mais, le plus sérieusement du monde je répondis :

- Effectivement, la cloche de cette abbaye du Bonheur qui sauva notre héros et que Castanet déroba, heureusement un peu plus tard, oui, c'est merveilleux.
Quant au secours que tous attendaient de Dieu, en ces temps ou la religion tournait à la vendetta de deux frères en Christ, l'un catholique, l'autre protestant se battant à mort pour décider de celui qui aimait le plus son père éternel tandis que certains s’érigeaient en prophètes, ou que d’autres se tenaient fermement à la raison d’Etat obligeant à ce que tous se conformassent à un seul rite d’adoration, voyez que j’ai longuement cherché la main de Dieu pour l’y poser sur mon conte de Noël.
En ces temps-là, cette main divine fut tellement immense qu'elle occulta le soleil de France durant deux siècles et demi. Toutefois, il est vrai que le merveilleux, c'était plus que la cloche mais ces moines qui sacrifiaient plus aux affaires du monde qu'à celle de Dieu et qui, sans aucun doute aimables restaurateurs mécréants auront sauvé Pierre Carles. Et, si nous recherchions la main de Dieu, alors faudra-t-il se tourner vers ces moines.
Et, quand je pense que nous, protestants sommes encore fiers de notre passé de sang, la liberté de conscience ne justifiant pas tous les actes de nos aïeux.

Je suis convaincu que personne n'attendaient ce "sermon" en ce temple, mais à qui la faute ?
- S’il me reste quelque instants je terminerai par Henri Castanet . Il se rendit en 1704 au Maréchal Vilars qui l’autorisa à quitter la France pour se réfugier en Suisse avec promesse formelle de ne jamais revenir dans le royaume.
Il revint et tenta de fomenter de nouveaux troubles mais, comme à l’époque le parjure ne se pardonnait jamais, arrêté il fut roué à Montpellier en mars 1705.
Quant à Julien, épuisé, malade d'avoir inhalé trop de fumées de son "grand bruslement", il mourut seul* le 11novembre 1711 à 49 ans.
                                                  _________________ 


*Des fleurs de René Bouschet pour cet An Neuf :
-Mourir seul, mon Gilou comme c’est bien avancé. On ne peut mieux parler de la mort.