samedi 11 mars 2017

De la déprime - 2

Voilà que je me sentais las de toutes ces journées à traîner comme une âme en peine et usé par mes nuits blanche. Cela commençait à faire et à bien faire. Pour mon bonheur, un matin je rencontrai une amie psychiatre garée près de la Mairie. Je la connaissais depuis l’enfance. On se salua comme à notre habitude :
-Oh-là ! De belles rondeurs ! Je trouve que tu te fais gironde à souhait ! Ouille-ouille, les garçons, planquez-vous.
-Je remarque que toi tu ne changes pas, toujours aussi con, Patrice !

Jamais de bises de la Denise qui à toujours maintenu ses distances avec moi, une des seules amies qui n'arrive pas à me donner mon prénom, et cela dure depuis 61 années. Elle me demanda des nouvelles de certains et m’en donna d’autres. Je lui fis part de mes inquiétudes : voilà, je ne tourne pas rond, sans doute une grosse  dépression.
-Si tu fais toi-même ton propre diagnostique, on est mal. Tu me consultes pour que je confirme ? Bien, bien bien... toujours à te foutre de moi ! Le seul de mes amis qui passe à travers les gouttes des orages de la vie, c’est bien toi. Et toujours heureux. C'est gonflant, à la fin !

Façon de parler, elle a l'amitié brutale mais elle corrigea mon diagnostique. Donc, des insomnies, et quand tu ne dors pas, tu fais quoi ? Tu écris toujours, et donc... Bien. 
-Pas tant que ça. Tout ce que j'écris ne vaut rien. Je rature, j’efface... Rien de bon.
Mais, Patrice, que du normal, il en va ainsi de l'écriture... Tu pense à un check-up ? Correct ? Ecartons une maladie grave. Et ta prostate, ton taux de PSA, redescendu ? Parfait.
-Oui mais Denise, je sens bien que rien ne va plus. Tiens, même que les viganais sont devenus gentils avec moi. Prévenants. Et si ça m'inquiète ? Tu penses bien. En plus, je les trouve plus intelligents que d'habitude. Vois-tu, c'est pas normal. 
-Sans doute que les viganais sont gentils naturellement et que tu barjotes comme à ton habitude. Crois-moi, la folie sait bien se cacher.
-Possible, mais maintenant j'ai l'impression d'être un "misquine" qu'ils plaignent. Je ne voudrais pas, qu'en plus ils me prennent pour un pauvre con. Qu'en penses-tu ?

-La beauté de la ville mise à part... sa douceur de vivre aussi, je ne dis pas que, pour la convivialité, le Vigan soit le lieu idéal... Moi-même je n'y retourne pas souvent, mais en connais-tu de meilleurs endroits qu'ici ? J'en doute. N'oublie pas que tu es redevenu viganais, donc de l'intelligence, de la convivialité, accordons-nous pour ne pas tout mélanger. Tu déprimes, ici ou là-bas, quelle importance ? Par contre, mesquin, toi ? Et puis quoi encore ? Rien que ton nom, Patrice, le noble ! Allons donc ! 
-Et, ne fais pas le Gilles, le niais, le fou, le pitre, tu connais ? Mais non, pas mesquin, "miskine", le pauvre.

Si tu le crois, me dit-elle c'est que tu ne vas pas bien. D'un autre côté, comme tu ne cesses de dire du mal des viganais, tu peux les comprendre ? Tu penses à un un début de sénilité ? Pas que je sache car, si ton activité s’est ralentie tu mènes encore une vie bien remplie, légèrement éteinte ces temps-ci, sans doute le décès de personnes très proches… oui, j’ai appris. Pas de quoi s'affoler ! Et, de tes projets ? Tu compte toujours écrire un livre, t'acheter un fourgon, faire le tour de l’Europe, t’installer au Portugal ? Non, juste le visiter ? Donc, ne me gonfle pas avec la dépression, tout au plus une déprime passagère. Conclusion ?
-Patrice, appelle-moi dans deux-trois jours. Ca ira mieux, que je te rassure.
Tiens, Denise, elle est bien gentille mais, me donner du Patrice, comme en prison, c'est déprimant... non ? Elle sait pourtant que depuis 61 ans je déteste Patrice lui préférant Gilou, pour les amis, et moi qui la voyais grandir en amitié. Elle n'a pas changé.
 
-Tu as su pour Dédé. Triste, hein, lui si vivant avant. Je l’avais dirigé vers une collègue de Montpellier pour sa dépression. Oui, tu m'en avais parlé. Lourde, et invalidante, bien trop inscrite car ancienne. Sa dépression ? Rien à voir avec un coup de déprime... Une misère lorsque les pensées tournent en roue libre, sans frein, détraquent le corps qui se met en résonance pour devenir douloureux et tout s'amplifie dans une sorte de yo-yo sans fin et voila la maladie mentale qui s'installe, flambe, s'emballe et s'inscrit dans le corps par de multiples symptômes physiques réels. Tout s'affole. Aucun contrôle. Tout ça, tu le sais.

-Oui. Et il se rendait compte de son état. La dernière fois que je l'ai vu, il devait aller faire changer son traitement. Mais comment un gars tel que lui, heureux de vivre, si actif a-t-il pu tomber si bas ? Rien qu'à le rencontrer, tu te mettait à déprimer avec lui. Ça me rendait triste.
-Si encore on trouvait les déclencheurs. Mais, la maladie était trop ancienne. Il aurait dû consulter plus tôt mais, lorsqu'il a senti cette sensation physique qu'un morceau de bois se brisait dans sa tête, j'ai préférer l'orienter vers la meilleure psychiatre de Montpellier. Mais, aujourd'hui je sais que c'était trop tard.

-Et, il n'y avait rien à faire ?
-Pour lui ? Moi, j'étais démunie. Pourtant, il voulait s'en sortir mais, pour vivre quelle vie ? Quand l'esprit insensé martyrise le corps par de grandes douleurs pour bien signifier que la maladie n'est pas mentale et que, pour s'en sortir veut les éteindre jusqu’à ce que mort s’en suive, tu sais que l'unité de la machine humaine brisée en deux se déconnecte du réel pour fonctionner sans le garde-corps de l'instinct de survie et les garde-fous de la raison, de l'humanité et de la "normalité" de la vie... Un suicide inconscient ? Ils le seraient toujours ? Oui et non, quand tu constates que l'âme humaine est si compliquée, si forte et fragile à la fois, qu'elle peut désirer mourir pour mieux vivre... Eh, oui ! Mais lui, Dédé voulait vivre.  

J'aime bien échanger avec Denise. Elle est diablement intelligente, trop même pour une femme et une viganaise à la fois. Tiens, faudra que j'y réfléchisse à tête reposée, quand je pourrai. Denise est bien gentille mais je voulus aussi mettre Dieu à contribution pour donner le coup de grâce à mes inquiétudes, deux sûretés valant mieux qu'une. Comme à son habitude, il semblait trop occupé par des ennuis autrement importants, de ceux du créateur génial du moteur universel qui ne saurait l’améliorer en l'adoucissant, aussi je ne lui demandais que d’apaiser mes nuits, TOUTES pour que je puisse enfin me ressourcer.

A consulter le bon Docteur Dieu ? Simple comme bon soir car il suffit de fermer les yeux, d’ouvrir la Darby, ma vieille Bible au hasard, de mettre un doigt sur un verset pour y  trouver la parole consolante, et voici ce qu'écrivait Salomon pour moi, il y a plus de 3.000 ans dans Proverbe XVIII, au verset 14 :
-L'esprit d'un homme soutient son infirmité ; mais l'esprit abattu, qui le soutiendra?
Retrouvant la paix de l’âme en considérant que je n’avais pas encore perdu la raison, je me résolu à prendre des mesures pour combattre la déprime. Par hasard, encore j'ouvrais un livre sur les fous de Saint Alban/Limagnole et en concluais que pour combattre la folie et la dépression, une bonne guerre était tout indiquée et qu'il fallait que je me bouge le cul, alors je m'endormis en paix avec moi-même, ne me réveillant qu'à 3h15 pour mon petit pipi de la nuit après avoir fait un rêve heureux étrangement en rapport avec mes lectures puis me rendormais pour ma première nuit correcte depuis longtemps.

Au matin, j’avais retrouvé presque tout mon allant en oubliant que cela faisait presque une semaine que je ne me rasais plus et, présentant un visage rugueux je découvris, ce jour pourquoi mes copines rechignaient à venir m’embrasser, ce qui m'avait alors grandement désolé pendant une semaine.
-Tu piques ! Tu le fais exprès ou quoi ?

Installé en terrasse de bistrot pour lire mon journal, boire un bon café et fumer une cigarette, j’y retrouvais une connaissance qui semblait se soucier de moi…
-Tu ne nous ferais pas une crise de Calgon ? Tu nous désertes, tu n’écris presque plus dans le blog et tu as une de ces gueules ! Si, si et ne me dis pas non. Et puis ces habits noirs… une détestation ! Si tu te voyais, tu t’éviterais. Tu as envie de parler à quelqu'un ?
Que répondre ? Surtout pas à toi ou que je vais mieux depuis que j’ai lu ma Bible, que j’ai une petite crise existentielle passagère accentuée par quelques soucis d’argent plus, au choix des ennuis de bougies, ou de delco, de condensateur, de carburateur, de liaisons électriques, ou de cylindre qui manquerait de compression, et que non, la déprime n'expliquerait pas toute la raison de ma tête de travers ? Mais, non, je ne me néglige pas. Ce matin, j’ai oublié de me raser, donc je ne me suis pas vu dans la glace, constate que je ne me suis pas peigné. Ah, tu vois.

Tiens, comme c’est bizarre que ces scènes de "T'as une drôle de tête" ne se déroulent jamais l’après-midi ni le soir et que ces gens, par sollicitude risquent de vous gâcher votre matinée et une belle journée en vous inscrivant encore plus dans la déprime, alors que mon souci premier venait de ma voiture tombée en rideau. En rade ? Qu’importe puisqu’on vous a catalogué dépressif à votre front soucieux, à vos frusques, à votre barbe naissante, à votre regard farouche ou éteint :
-Non mais c’est vrai que tu as une tête de déterré !
Même que, certains gâte-sauce à l'amitié débordante, en toute consolation : 
-Ne sors pas à la nuit tombée, les chiens hurleraient au loup... Mais, non, je rigolais !

Si on veut car, dans les rares vitres rencontrées ce matin sur mon court chemin habituel, je voyais bien que je ne reconnaissais pas trop cette tête d'inconnu qui me ressemblait et qui me renvoyait un regard triste comme en un reproche de ne pas l'aimer. Mais, avais-je besoin de mes amis proches pour me consoler, et de quoi ? Et qu'avais-je pu bien faire pour tant de triste solitude ? Pas question de Julie car je l’entendais déjà au téléphone :
-Tu déprimes ? Ne nous fais pas ça ! Bouge pas, j’arrive, Pôpâââ !
Non. Fifille, ne bouge surtout pas et ne te pointes pas avec Aouah et ton pisse-partout de jeune chiot fou dont je ne rappelle plus le nom. Et non, ça ne sent pas le pipi d'ange ! Et pourquoi, pour faire bonne mesure ne pas amener George Sand, ta chatte farouche qui ne m’aimera jamais, et Mam’zelle O’Hara et Clark Gable tes lapins nains que j'ai l'honneur et le plaisir de ne pas connaître, un remède administrés pire que le mal ? Tu veux ma mort, fifille ?

Suivante de ma liste, Fannie. Impossible car présentement au Bénin, comme ils disent là-bas. Bon, elle, elle m’aime surtout parce que je prends tout à la rigolade et, de la déprime dans un couple ? Gardez le paquet bien chaud pour vous.
Peut-être qu’Américo avec sa perspicacité, sa philosophie hyper-réaliste, et de son aide… oui, mais je devrais lui avouer mes quelques mauvais jours avec la boule au ventre. Impossible, notre amitié s’étant construite sur le mode espiègle.
Pierrot ? Non plus car, même si la vie l'aime tellement que rien ne semble pouvoir l’atteindre, je ne voudrais jamais l'assombrir, sauf par mes blagues olé-olé détestables, ce serait une faute de goût.

J’ai bien pensé à Rolando mais, sourd comme un pot, le temps de lui expliquer le pourquoi du comment et la mode aura changé. Youssef, trop lointain en son Canada, et puis, va t’expliquer au téléphone. Faux-cul, il compatirait tandis qu’en fond sonore j’entendrai glousser sa bombinette.
- Gilou, tu déprimes ? Tu me fais marcher ou quoi ! Pardon… parle plus fort ! Tu dis que Fanny broie du noir en Afrique ? Normal, black is beautiful ! Non, au Bénin ? Ouille ! Et que tu te sens seul ? Parle plus fort... Oui ? Et elle aussi ? Je te plains, mais que je te rassure, la solitude, surtout en Afrique n'a jamais qu'un temps... oui, le soleil, un fameux boute-en-train !  Pardon ? Je t'ai mal compris ? Ah !...
Sacré farceur de Youssef !
Ne me restait plus que Markus. Non ! Carré en ses certitudes, trop broum-broum et un homme, ça sait se tenir dans l'adversité. Oui, mais non, Markus, je ne me lamente pas comme une gonzesse, où vas-tu chercher tout ça !
Mes ex ? Certaines s’amuseraient de mes malheurs, pas toutes mais la plupart et ce n’est pas d'aujourd’hui que j’aimerai leur donner du plaisir.

Je me résolus à garder ce qui restait de ma déprime pour moi tout seul, à moins que Christine et Bruno, mes amis normands… mais la Normandie, c’est loin. Mais bien moins que le Bénin. Et pourquoi pas ?

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