lundi 30 octobre 2017

A million.

Gouache Edouard Herzig (1860-1926)
Fatima, ma mère me désespérait. Lui apprendre à lire et écrire, à poser des additions ? Elle se comparait à une ânesse. Te rappelles-tu ?
 -Peut-être, papa. Mais, pas pour le pognon. Pour du sérieux, c'en était. Pour prêter, mon fils ? Pour donner, c'est moins et, pour prêter... faut rendre, mon fils !
Et elle donnait du "Mon fils" à tout un chacun. Nature que ma vieille, mais elle abusait. 

C'est vrai qu'avec l'argent... Un jour, qu'elle me dit :
-Y-en a besoin d’queque chose ? (As-tu besoin de quelque chose ?).
-Non, maman. Ça va bien pour moi.
Elle me traîna, vers la rue du Maquis.
Pour ma mère, Fatima ne connaissait que deux caisses d’épargne : la mienne à laquelle elle me renvoyait quand je l’énervais, le bistrot et la sienne, là où se trouve l’Ecureuil.

Le guichetier, ma mère se l’embrassa affectueusement :
-Bonjour, Fatima. Tiens ! Salut, Gilles. Il y avait longtemps...
-Mon fils, aouid a millione ! (Mon fils, donne un million!). Ma mère était pressée.
-10.000 francs, c’est cela ?
-Lala ! A millione ! Non ! Un million ! 
Ma mère  soutirait une brique de son bel et bon argent à son fils de banquier… Bon, un million de centimes ? Pourquoi pas, et le voilà alignant les billets de 500 francs dans le temps que ma mère les réduisait en 50.000 anciens francs pour mieux les additionner. Et ça marchait !
-Prends, mon fils. Prends.
Ai-je pris ce million de centimes ? J'allais me gêner car je saisissais enfin que ma mère se sentait culpabilisée par mes trop nombreux refus !

Faut dire que la Mère, comme le disait si bien mon frère aîné avait un sens inné de l’équité et, lorsqu’un de ses fils lui tapait un peu de sous, par exemple a million, elle, sachant que le Bon Dieu fit les temps d’argent toujours aussi difficiles pour les enfants afin de mieux les attacher affectivement à leurs vieux parents, elle :
-Y-en pas pas besoin d’queque chose ? (N’as-tu pas besoin de quelque chose ?).
-Mais, non, maman.
Cette phrase, je l'avais entendue bien souvent sans savoir que ma mère, en cédant à la sollicitation de l’un donnerait la même somme d’argent aux deux autres. Faut dire aussi que ma mère ne m'a jamais expliqué, primo qu'elle cédait aux sollicitations des frangins et, secundo le pourquoi de cette phrase rituelle qui s'appliquait à de l'argent qu'elle pensait me "devoir". Mais, si je refusais, hein ! Pourquoi insisterait-elle ? Curieux, quand même, ne trouvez-vous pas ce manque de transparence ? Pour ma part, je déclinais toujours cette offre, non que je n’en eus pas le besoin, mais j’estimais que tant que je ne crierai pas famine, je m’en passerai. Ma fierté berbère*.
*(Par berbère, comprenez ceux de haute et belle lignée).

-Tu te rappelles, Papa*, mémé... pour lui apprendre l’heure ? Même que tu lui avais acheté un réveil bruyant qu’elle remontait tous les jours et on se demande encore aujourd’hui à quoi il pouvait bien lui servir, sauf à lui rappeler un des rares cadeaux de son fils. Oui, Papa. Et, à chacune de nos visites, on n'entendait que le tic-tac  du réveil dans sa chambre, et notre premier soin était de le remettre à l’heure.
-Par contre, elle ne remontait jamais la sonnerie. Tu as remarqué ? Un réveil qui ne servait qu’à la bercer pour l’endormir, jamais à la réveiller.
*Julie n’utilise le Pôpâ qu’au téléphone, voila pourquoi ce gentil  Papa.

Ma mère aurait dégoûté tous les meilleurs pédagogues.
-Maman, regarde. Quand la petite aiguille montre le 12, c’est midi, l’heure du repas. Et quand elle montre le 6, en bas faut se lever. Tu comprends ?  
Je crois qu’entre comprendre mes explications et prendre plaisir au seul son de ma voix, son choix était fait. D'un réveil pour se lever ? Mais, elle n'en eut jamais le besoin. Alors ? Elle me regardait avec les yeux aimant de Leïla* sans jamais percuter.
-Mais maman ! Tu n'écoutes pas !
-J’ma fous, mon fils. (Entendez : Je m’en fous, mon fils).
*(LeÏla, ma petite chienne tant aimée ne percutait jamais, mais que d'amour entre-nous).
Et dire que je n’avais pas pensé à enlever la grande aiguille du réveil qui compliquait tout. De même qu'il s’avèrera plus tard que ma mère était myope de chez myope. Parfois, elle cousait à gros points et, lorsque l’aiguille lui échappait, elle la recherchait du plat de la main à l’endroit où elle estimait qu’elle devait être tombée et finissait par la retrouver, se piquant souvent :
-Hi... âhhhh !

Pour enfiler le fil dans le chas ? Elle le mouillait de salive, le torsadait, prenait l’aiguille puis le pinçait à hauteur du chas, le tout serré entre le pouce et l’index et, de son autre mains faisait glisser l’aiguille entre ses doigts vers le fil fermement retenu.
Pour ceux qui n’auront pas compris, je demanderai un dessin à René.
Parfois, j’ai plaisir à savoir que ma mère, qui a toujours affirmé qu’elle était bête se glorifiait d'avoir suivi, elle une des seules fillettes berbères du village, une scolarité à l’école coranique, excusez du peu mais seulement pour apprendre le Coran par cœur, aussi, depuis ma mère savait se cantonner dans ce qu’elle maniait à la perfection, à savoir la connaissance de l’humanité en faisant le pari que l’amour que l’on porte à son prochain lui permettrait de devenir meilleur.

Donc, messieurs de la pédagogie, m’obligez pas, en vous penchant sur l’oreille et la vue de vos élèves que, sans l'amour de votre travail, vos élèves ne resteront jamais que des ânes…
-Mais, non, maman, tu es intelligente... d'abord parce que tu es ma maman !
-Izane !* (Berbérisme que la Mère n’aimerait pas me voir traduire, quoiqu'il n'est qu'à demander).

Traduction libre pour Izane ! : Merde ! (mais dans le sens de Grosse merde ! sachant que son Gillino pesait ses bons 70kg).
T

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