lundi 18 décembre 2017

Andros et son Psaume Lxviii. -5

Souvent, en sortie du Temple, le dimanche Guépard m'interpellait : « Gilles ! Et ces psaumes ? » Interpellation affectueuse qui me faisait la jambe belle, cadeau de mes frère en Christ qui n'en avaient rien à cirer de Marot et de Bèze. Quant à votre serviteur, passons.

Vous souvenez-vous d’Andros, mon pote ? Non ? Et de Charles-Emmanuel, son cochon nain ? Non plus ? Ah ! Bien la peine que je m'escagasse à écrire !

En fait, j’ai su, il y a peu qu’Andros m'avait tartiné une belle blague et, comme dit si bien l’Américo :

-Des copains ? Que de salauds. Tu peux croire !
Je n’irai pas jusque-là, mais enfin, faut que je vous dise que, fait étrange…

… oui, en descendant de Paris avec un copain, Andros tomba en arrêt devant un élevage de cochons en plein champs, au dessus de Clermont-Ferrand. Ou plus bas sur la A75 ? (Tiens, curieux que je ne me sois pas inquiété de cette localisation. Dommage.) Ni une, ni deux, on s’arrête, on hèle le paysan qui se retourne :

-S'il vous plaît. Monsieur ? De bien belles bêtes. Un plaisir. Vous les vendez, vos cochons... euh, vos porcs ?

-C'est comme on veut. Oui, on vend. Rien que sur pied, ma femme préfère. Le prix ? Ça dépend de combien vous m'en prendrez. 

Le paysan vendait. Et pas cher.
-Un seul ? Bon, ben… Tiens, le gros, là, au fond. Plus de 250kg, à l'estime. Une belle bête. Je veux. Et plus besoin de le nourrir, monsieur. Vous me l'embarqueriez comment ?
Le copain qui me narrait l’histoire se trouvait encore sur le cul car fallait voir l'affaire se dérouler avec notre Andros en vrai maquignon :
-Avec ma bagnole, Monsieur. Bon, mais non. Tros gros ! Je vous le laisse. Un petit… Comme le prix. Ben, oui. Un bébé cochon. Combien au kilo ?... Non, moins cher, surtout pour un petit que vous n’aurez plus à nourrir. Pour moi, c’est pas pareil. Petit, d’accord, mais ça bouffe pas mal, ces bestiaux. Donc, votre prix ? Faites un geste, ça fera plaisir à ma dame. Pour la Noël. Un cadeau. 
-Un petit, un petit… Le prix, c’est que, monsieur, les petits, on n'aime pas les vendre. Parce que les petits, c’est l’avenir de l’exploitation. Oui, Monsieur. Bon ! Un petit, petit comment ?
-Vraiment petit. Il me faut un bébé. Vous avez bien ça ?
-Ben, c’est qu’ils sont avec leur mère.

Je vous jure que c’est tel que mon pote me l’a raconté. Enfin, moi je le crois.
Bon. Et les voila parti dans un bâtiment, à l’écart, une sorte de nurserie.
-Celui-là ! Je veux ! Et Andros désignait un bébé cochon trognon, tout rose encore pendu à la mamelle de sa maman.
-Ben, l’est trop petit, M’sieur ! Faudra le nourrir au biberon. Pas évident.
-Vous occupez pas. C’est exactement ce que je veux.
-Oui, mais…
-Je le prends. C’est un cadeau pour ma femme. Des biberons, ça manque pas chez-nous. Faites votre prix. M'sieur. Et si je l’appelais André-Charles ? C'est le nom d'un de mes copains. Votre femme, elle aimerait ? Oui ?
Le paysan se gondolait. André-Charles, disait-il, André-Charles !
-Ridicule, que lui dit mon narrateur. Pourquoi pas Adolphe. J’ai mieux : Emmanuel, comme le petit Jésus. Ouais, c'est bientôt Noël.
Aussi fut-il décidé, entre les deux copains de couper la poire en deux : ce serait Charles-Emmanuel. Pour sûr que la copine d’Andros serait aux anges de pouponner son nouveau bébé au milieu de toutes ses portées de petits : chats, chiots, lapins, canetons, et j'en passe.

Et voila nos deux compères redescendant au Vigan, Charles-Emmanuel endormi, bien au chaud sur les genoux de mon gentil narrateur, bercé par le ronron du moteur.
La suite ? Vous la connaissez puisqu’on me la servit telle que je vous l’ai racontée.
-Et donc Andros savait que le cochon ferait du gras?
-Je veux, sauf qu’il avait raconté des salades à sa belle qu’aimait que les bébés, que même que c’était un cochon nain. A toi ? Ben, Andros t’aura fait croire comme quoi, avec son amie et sa fille ils avaient choisi un cochon nain dans une animalerie de Montpellier. Tout faux. Mais si ! Tu aurais dû savoir qu’Andros, pour les salades… un expert, tu le connais aussi bien que moi.

Revenons à Andros et au Lviii, le psaume des Batailles, le 68 qui menait toujours Henri IV à la victoire. Toute une histoire.
Dans mon adolescence, j’étais au collège, Andros en apprentissage au restaurant de Marinette. Tiens… Marinette, un poème. Faudra que je vous en cause un de ces quatre.
Donc, Andros, élevé à Saint-Jean-du Gard, (anciennement Saint-Jean de la Gardonnenque, la Genève cévenole de la Réforme), L'Andros était féru de l’histoire des Camisards et du chant des Psaumes. Ah, les Gorges noires, les Parpaillots !

Un jour :
-On se chante le 68. Sus, à l'assaut ? Au pas du légionnaire. D'accord ? Commence.
Mais, dès le premier verset :
-Non ! Pas celui que tu chantes. L’original. Je te montre. Ecoute voir. 
Effectivement, si ce qu'il chantait était l'original, il y avait tromperie dans l'air.
Un Noël que je l’accompagnais à Saint-Jean, Andros me reçut dans la maison de son enfance, sise près du temple :
-Tu vois l’Eglise catholique ? Elle fut bâtie avec les pierres de notre temple démoli après 1685. Peut-être même avant. Je ne me rappelle plus. Faudra que je demande à Daniel T.
Et, Andros me racontait sa Cévenne du désert en revivant ces temps révolus...
-Tiens ! Vise-moi ça.
Pour la première, et unique fois de ma vie je touchais un des rares psautiers de 1562, un bouquin complètement déglingué à force de servir, sans savoir que je tenais en main un trésor.

-Tiens. Regarde le psaume 68. Tu vois ? L’original de Théodore de Bèze (1562). Le début, c'est un peu corrigé, mais faut savoir pardonner. Bèze écrit : "Que Dieu se monstre seulement, Et on verra soudainement Abandonner la place : Le camp des ennemis espars, Et ses haineux de toutes pars Fuir devant sa face Dieu les fera tous s'enfuir... Mais, après :

     Ainsi qu’on voit s’épanouir
     Un amas de fumée.
     Comme la cire auprès du feu,
     Ainsi des méchants devant Dieu
     La force est consumée. »

-Mince alors. Donc, je ne connaissais que la version de Conrart (1659-1683) :

     Comme l’on voit s’évanouir
     Une épaisse fumée ;
     Comme la cire fond au feu,
     Ainsi des méchants devant Dieu
     La force est consumée. »*

*Cette version corrigée du psautier original, revue par Conrart est faussement attribuée, sur « les Ailes de la Foi » (1938 ?) à Théodore de Bèze et, aujourd'hui, notre bon ami Roger Chapal s’en attribue la paternité dans « Le psautier français » de 1995. On est poète ou on ne l’est pas, nom de Dieu de bon sang de bois.

Lorsque je m’intéressais au psautier de la Réforme, Andros m'avait recopié l'original de Théodore de Bèze, et en 1997, découvrant un psautier de 1819, je croyais tenir les paumes de Marot et de Bèze aussi, fébrilement, je les harmonisais sans savoir que la musique avait été revue et corrigée par Goudimel qui ne supportait pas les mélodies sans mode majeur ou mineur bien établi tandis que les vers originaux, (on se demande encore bien pourquoi ) furent mis « en bon françois » par Messieurs de la Bastille et Conrart, premier secrétaire perpétuel de l’Académie française, à la demande du synode de l’Eglise Réformée à Loudun en 1659, le dernier pendant toute la monarchie, la Révolution et le 1er Empire français.
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PS : J'avais écrit Psaume Lxvii au lieu Lxviii. René m'a demandé pourquoi pas LXVIII. Ben, parce qu'on trouve dans le psautier de 1562 : pseaume de David et Lxviii pour le "Psaume des Batailles".

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